Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

the impossible & infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters

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Tour Infinie (La)

La Tour Infinie (Infinite Tower) is a mural in Louvain-la-Neuve. Louvain-la-Neuve is well known for its murals since she has a dozen. In October 2010 a new mural by François Schuiten was unveiled.

The work was conceived by the designer François Schuiten and it is the artist Alexander Obolensky who was responsible for carrying out this work of 13 m in height and 7 m wide.

The mural was done on canvas in the studio. Then laminated and stuck on the wall of the Grand-Place of Louvain-la-Neuve.The fresco entitled “Infinite Tower” is inspired by the work of Breughel. It was funded by the city, the university and the Walloon Region.

Some image of the mural.

Robert Piquet, head of the trends section of L'Echo des Cités, pointed out that the utopian novel by Joanna Russ has a cover that resembles La Tour infinie by Schuiten.

Interview

La Tour infinie, ou un joli tour de forces au coin d'une ville savante

Tout comme en face d'une peinture de René Magritte, le passant peut ressentir un choc visuel devant La Tour infinie, cette fresque murale de François Schuiten, située au coeur de Louvain-La-Neuve. Choc de ne pas comprendre alors que la fresque est située au centre de la ville nouvelle, en face de la faculté de théologie dont le “savoir” devrait concourir à l'illuminer…

Le premier élément que l'on perçoit, est cette énorme tour qu'on reconnait assez rapidement comme étant la Tour de Babel, figurant dans un des tableaux de Breughel l'Ancien. Ce qui participe du choc visuel, est l'émergence au centre de la Tour, telle une sirène, du corps sculptural d'une femme. Cette femme a beaucoup pour nous faire songer à une guerrière: elle a une coiffe, un casque et semble porter une tunique antique. Sa coiffe est la reproduction d'une miniature de la Tour elle-même. Guerrière et liseuse, ce portrait d'une femme de savoir a tout lieu de nous renvoyer à la déesse Athéna. C'était une déesse guerrière, armée d'une lance et d'un bouclier mais Athéna était aussi la déesse de la Raison. Ainsi nous aurions ici réuni un écho des deux grandes traditions de l'Occident, la tradition biblique et celle des Grecs qui architecturalement entreraient en collision ou en fusion. Allez savoir ! A y regarder de plus près, la jeune lectrice très studieuse qui tient son livre à la hauteur de son sein, édifie littéralement la Tour, sa coiffe en est une confirmation poétique. A droite, au pied de la tour sur son flanc, on a comme une ébauche disloquée du corps d'une sculpture abandonnée - écho poétique d'un passé dépassé! - au profit de la Tour, plus grande, nouvelle et pensive.

Par contre, la base de l'édifice semble comme animée d'une vie qui évoque les grands noeuds autoroutiers des cités, des mégalopoles américaines ou asiatiques: c'est un enchevêtrement de voies rapides qui entrent et sortent de la Tour parcourues par de petits véhicules modernes.

Dans cet ensemble, il reste à évoquer ce qu'on ne peut pas ne pas voir: un énorme moignon! A bien observer le corps de la statue où on situe le nombril et son sexe, on remarque que sa hanche gauche se prolonge par une jambe qui se termine en un pommeau de douche… Cependant le fait d'y voir des ouvertures carrés évoque des fenêtres d'habitation mais leurs seules présences à l'extrémité du membre renforce l'idée d'un pommeau d'arrosoir. Cette fonction rejoindrait la présence en contrebas de haies bien vertes, bien taillées qui s'organisent en un labyrinthe où cheminent quelques étudiants. En somme, l'Humanité ne se retrouverait qu'en périphérie de la ziggourat à laquelle on n'accède que par des ponts et des tunnels. On aurait là comme Schuiten l'a indiqué, la figuration de cette énorme dalle de béton sur laquelle a été érigé le coeur de la ville et, en contraste, aux alentours, une collection de petits espaces habités de verdure.

En définitive, cette fresque rencontre bien la fusion et le dépassement des deux berceaux de l'Occident, le biblique supplanté par le gréco-romain. Tout donne à penser qu'Athéna, déesse guerrière de la Raison, transcende la tentative ancienne de la Tour de Babel. La Raison grecque termine l'édifice, l'achève; elle en vient à parachever l'édification des savoirs et de la puissance technologique. Cette puissance est soulignée de façon ambigüe par le moignon de cette parente de la déesse Athéna.

D'un point de vue psychanalytique, ce moignon pourrait faire écho à une représentation phallique mais qui ici, au lieu d'être droit comme un totem, s'incline en un conduit d'arrosoir au profit d'une végétation domestiquée. Si cette représentation marque le triomphe de la Raison grecque comme réalisation assumée de la tentation babélienne, en même temps que la conversion de son désir de puissance en un souci d'entretenir une nature humanisée, elle ne manque pas de masquer la signification profonde du mythe biblique de la Tour de Babel. Ce qui est occulté, n'est pas tant le défi fait à un dieu que la symbolisation d'une loi biologique ou sociologique à savoir qu'au-delà d'un certain gigantisme, un organisme tend immanquablement à se diviser, à se fragmenter car il ne permet plus à ses membres de se construire une identité, la communication étant devenue difficile entre le centre et la périphérie.

Ce qui est en réflexion, c'est l'écart, la “bonne distance” entre l'artifice et la Vie, écart où l'Humanité se joue.

Au travers de cette fresque remarquable, l'artiste, fasciné depuis toujours par l'espace architectural, semble rechercher comment sortir de l'érection architecturale où à première vue, la rationalité grecque, loin de démentir le projet babélien, est venue l'achever, le couronner, voire le détrôner, jusqu'à en endosser la coiffe.

Mais un doute s'insinue: il semble que l'édifice soit travaillé par une sourde et souterraine contestation, celle d'un quête de puissance qui s'incline au profit d'une culture des jardins… Nostalgie d'un Eden bien terrestre où Eve aurait acquis l'attribut d'Adam pour ne verdir que des espaces verts, et non plus, pour conquérir quelque ciel vide d'être bleu de quelques nuages un peu gris, indice d'un retrait de Dieu pour la seule responsabilité des humains.

Louvain-La-Neuve le 17 mai 2017
Bernard SPEE
Master en Philosophie
(UCL 1979)