Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

Encyclopédie impossible et infinie du monde créé par Schuiten & Peeters

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Notes de voyage sur la première convention obscure

par Sylvain St-Pierre

Le mercredi 28 juillet 1999

Je n'ai pas encore réussi à compiler un tableau qui donnerait une équivalence satisfaisante du temps Obscure, donc je vais continuer à utiliser les dates familières. MM. Schuiten et Peeters ont déjà remarqué que les jours ne semblent ni plus longs ni plus courts sur le Continent que dans notre monde, mais l'excitation générée par ce voyage fausse sérieusement mon objectivité à cet égard…

En effet, suis-je déjà “passé” ? Difficile à dire. Je suis arrivé en milieu d'après-midi, en provenance directe de Londres par le Chunnel. Le train aurait pu prendre un chemin de traverse dans l'obscurité sans que je m'en aperçoive.

Diverses affiches publiques proclament que je suis à Bruxelles, en Belgique, mais l'atmosphère même semble imprégnée du sentiment de Brüsel. Manifestement, ça fuit ! C'est difficile à exprimer avec des mots. En tout cas, les rapports décrivant le climat des deux villes comme froid et pluvieux sont apparemment très exagérés. Le temps est absolument radieux ! Peut-être que le professeur Pym, en apprenant notre expédition, a un peu déréglé les rouages d'Armilia ? Quelle que soit la raison, je ne me plaindrai certainement pas.

Illustration : Carte de Bruxelles, Michelin, 1998

Mon hôtel est merveilleusement situé, à vingt mètres à peine de la Grand' Place. La vue de ma fenêtre s'ouvre sur les toits, c'est très bruxellois. Je vois se résumer plusieurs siècles d'histoire architecturale. J'ai commencé à explorer un peu le quartier. Beaucoup de rues étroites et agréables, qui s'entrecroisent selon des angles étranges. Un changement agréable par rapport à la grille rectangulaire de Montréal, à laquelle je suis plus habitué.

Photo : Olivier Tissot

Mon premier site Obscur n'est qu'à quelques pas : la peinture murale de la rue Marché-au-Charbon. C'est une surprise totale, je m'attendais à un simple mur peint, mais la technique utilisée semble être celle du sgraffite, la même que pour la Maison Cauchie, que j'ai également envie de visiter. J'espère que ma photo sera bonne, car j'ai entendu dire que certaines influences du Monde Obscur ne sont pas compatibles avec la photographie. J'ai dîné avec un de mes contacts belges : Michel Kempeneers, de Louvain. Il est étrange de rencontrer pour la première fois en personne une personne avec laquelle on n'a eu que des échanges électroniques pendant des mois. Il s'avère être un homme très sympathique. Il a également apporté avec lui une analyse très détaillée du Dictionnaire Obscur, et a trouvé de nombreuses erreurs qui m'avaient échappé. À mon retour, je serai occupé à réviser le dictionnaire pendant un certain temps. Nous avons discuté jusque tard dans la soirée, bien installés sur la terrasse du restaurant. Le repas était excellent : lapin à la Gueuze, une spécialité locale, accompagné d'une bière belge des plus agréables.

Michel m'a également laissé plusieurs documents d'un grand intérêt, dont un article sur Schuiten et Peeters qu'il a écrit lui-même pour un journal belge. Il est dommage que je ne sache pas lire le néerlandais. Il est également regrettable qu'il ne puisse pas se joindre à nous pour le reste de la convention, car il est pris ailleurs. Tout commence si bien ! La pleine lune est étonnamment brillante ce soir, ce qui me semble de bon augure. Luna n'est-elle pas un point de passage reconnu vers le monde obscur ?

Jeudi 29 juillet 1999

Une autre belle journée s'annonce. Il pourrait même faire assez chaud ! J'ai contacté Quentin Gausset au téléphone. C'est un bruxellois qui vit entre Copenhague et København, mais il est temporairement de retour dans sa ville natale. A l'origine, nous devions nous retrouver tous les deux ici, mais une chose en entraînant une autre… La première réunion du groupe est confirmée pour ce soir.

Je n'ai pas eu de mal à trouver quelque chose à faire en attendant : cette ville regorge de bibliothèques spécialisées dans la bande dessinée. Quel choix ! C'est comme dans un rêve. La boutique Brüsel est toute proche, et je ne tarde pas à m'y rendre. Ah, que de merveilles ! J'emporterais bien tout ce que je vois, mais je me contente de quelques albums et d'une copie de la fameuse vidéo Le Dossier B. Il faudra que je la fasse convertir au format nord-américain à mon retour, mais ce n'est qu'un détail.

J'ai aussi un peu flâné, laissant le hasard guider mes pas, et j'ai découvert beaucoup de choses splendides. J'ai même visité la Galerie de la Reine. Les drapeaux qui pendent dans la version Obscure semblent totalement absents de ce côté, mais j'ai trouvé un superbe jeu de cartes postales sur la Maison du Peuple, un bâtiment de Victor Horta. La forme des poutres de ce bâtiment aujourd'hui disparu rappelle les photos d'Alta-Plana dans L'Echo des Cités, je vérifierai ce détail à mon retour. Dès que l'on s'éloigne du centre de la ville, les vieilles rues pittoresques disparaissent et sont remplacées par des avenues majestueuses. C'est comme si on passait d'un monde à l'autre, et je ne peux m'empêcher de lever les yeux, m'attendant à voir passer d'étranges dirigeables au-dessus de ma tête.

J'ai aperçu au loin la formidable silhouette du Palais de Justice, à moitié cachée sous d'étranges échafaudages. Je crois que je commence à sentir l'âme de la ville. Partout des constructions, des démolitions, des réparations ! Dans certains quartiers, le bruit des marteaux-piqueurs est incessant et les nuages de poussière piquante sont impossibles à fuir. Côté Obscur, la vie a dû être souvent insupportable pour les pauvres habitants de Brüsel. J'ai aussi vu mes premiers exemples de facadisme, mais ce ne sont probablement pas les derniers. Notre groupe s'est enfin constitué. D'abord Quentin, puis le contingent néerlandais, Eilko Bronsema, Bert Zuur et Caspar De Wind, sont tous arrivés à mon hôtel, où nous avions fixé la réunion. Nous avons marché jusqu'au restaurant Ultieme Hallucinatie, qui a un superbe décor Art Nouveau et un nom tout à fait approprié pour des gens comme nous…

En chemin, nous sommes passés par le Parc Royal. Quentin nous explique que ses allées tracent de nombreux dessins cabalistiques et qu'une copie parfaite se trouvait autrefois à Urbicande, ce qui n'est pas du tout surprenant. Le temps superbe est toujours de la partie et nous mangeons dehors, dans la cour, tout en planifiant le programme de demain, qui risque d'être chargé. La plupart des conversations se font en anglais, car c'est la seule langue que nous partageons tous les cinq.

Plus tard dans la soirée, nous avons rencontré Alok Nandi, le webmaster de d'urbicande.be, et sa compagne, Sophie, sur la terrasse du Falstaff. On dit que c'est l'un des endroits les plus à la mode du centre de Bruxelles, et c'est effectivement très animé. Il paraît qu'il y a de très belles baies vitrées à voir, mais il y a toujours trop de monde devant pour pouvoir les apprécier pleinement.

Alok s'avère être une précieuse source d'informations. Nous buvons ses paroles, étonnés par la longue liste de projets dans lesquels François et Benoît sont impliqués. Nul doute que nous pourrons étancher notre soif pendant de nombreuses années. Je crois même avoir compris qu'une visite des auteurs à Montréal n'est pas exclue, mais peut-être que mon subconscient s'est fait des illusions.

Une surprise d'Alok : nous avons tous reçu une copie de L'Ombre du Réseau, la version CD-ROM du site Web urbicande.be. Apparemment, ce sont les seuls qui restent ! La plupart des membres de notre groupe pensaient qu'ils ne verraient jamais cet objet rare. Les quatre mille exemplaires “officiels” ont été rapidement épuisés après seulement quelques jours, et pas l'ombre d'un seul n'a été vu au Québec.

Je me suis couché fatigué, mais heureux.

Vendredi 30 juillet 1999

Un nouveau visiteur s'est joint à notre groupe : Mitya Suchin, un Russe vivant à Berlin et avec qui nous avons tous été en contact ces derniers mois. Il est très enthousiaste à l'idée de cette visite et regrette de ne pas avoir pu venir hier. Notre convention devient vraiment internationale !

Il y a eu un léger malentendu sur le lieu de rendez-vous, mais Quentin nous a finalement donné rendez-vous au Centre Belge de la Bande Dessinée. Le bâtiment a été admirablement bien rénové, et ses collections de bandes dessinées sont superbes. Il y a une galerie qui montre le CBBD tel qu'il a été rendu par différents artistes, ce qui est très intéressant car on peut comparer avec l'original sur place.

La boutique du centre possède même un exemplaire de Paris au Vingtième Siècle, de Jules Verne, illustré par François Schuiten. Me laisserai-je tenter ? Je crois que j'apprécie cet endroit plus que mes compagnons. Je suis plus âgé qu'eux, et je me souviens encore de l'époque où je lisais chaque semaine des revues pour la jeunesse comme Tintin et Pilote…

Une surprise de taille : Quentin se doutait qu'un bâtiment abandonné, proche du CBBD, pourrait bien être un point de passage vers le Monde Obscur. Remarquant une étroite ouverture d'où s'échappait un courant d'air étrangement froid et moisi, Mitya et Quentin ont jeté un coup d'œil. Le constat est sans appel : de l'autre côté se trouvent les anciens bureaux du journal L'Echo des Cités !

Photos :  Eilko Bronsema

Lorsque nos amis néerlandais sont arrivés, nous avons pu leur annoncer la bonne nouvelle. C'était vraiment une expérience extraordinaire de marcher dans ce lieu, oublié par l'homme et le temps pendant toutes ces années. Rien ne manquait, des piles de journaux jaunes aux mots “C'EST FINI” tracés à la craie sur un mur. On sentait presque la présence physique de Stanislas Sinclair et de son équipe. Nous avons dû procéder avec une extrême prudence, car le bâtiment, dont nous tairons le nom, était des plus décrépits. Il serait triste qu'un explorateur trop enthousiaste se blesse. Des documents intéressants ont été trouvés, mais il faudra attendre un certain temps avant de pouvoir les divulguer.

Moi, Eilko, Quentin, Mitya, Caspar et Bert.

Nous sommes sortis avec des sentiments mitigés, un peu coupables d'avoir pénétré dans ce lieu mystique, mais aussi étourdis d'avoir foulé un petit bout de l'Autre Monde. Pour nous remettre de nos émotions, nous sommes allés déjeuner au restaurant Horta, à l'intérieur du CBBD. Il va falloir que je fasse attention, je commence à prendre goût aux bières belges…

Encore ivres de notre découverte d'un Passage, nous nous sommes joyeusement rendus sur un autre site, que Quentin avait remarqué il y a longtemps : la Caserne Militaire Albert. Certaines parties de cet établissement, toujours en activité, ont été laissées à l'abandon. La partie qui nous intéressait était l'îlot Dubeucq qui, de l'extérieur, n'est pas particulièrement remarquable. La façade est moins terne que d'habitude pour un bâtiment militaire, mais pas au point d'en faire une attraction recherchée. Ce serait oublier que nous sommes à Bruxelles, où les façades ne sont pas dignes de confiance.

Le premier indice que nous nous trouvions dans un endroit spécial était la pile de pierres numérotées, empilées près de l'entrée et d'un aspect des plus familiers. Derrière la porte grande ouverte se trouvait une grande salle où des pans de murs à la peinture écaillée ressemblaient à des cadres vides…

Le doute n'est plus permis : même avec les couleurs, on reconnaît l'intérieur du musée A. Desombres, tel que l'a photographié Marie-Françoise Plissart pour L'Enfant Penchée ! Seules les fresques manquaient, mais peut-être un repli du temps nous avait-il amenés juste avant l'arrivée d'Augustin, et l'artiste n'allait-il pas se montrer d'une minute à l'autre ?

Non, il ne pouvait s'agir du même endroit. Le splendide plancher au dessin complexe était réduit à l'état de décombres, sans qu'aucune dalle ne soit intacte. Pourtant, si ma mémoire est bonne, Desombres lui-même avait commencé à démolir le sol pour trouver la source des mystérieuses vibrations qui parcouraient le bâtiment (nous ne les avons pas ressenties). Nous avons visité quelques coins, testé certains murs avec un pendule pour voir s'il n'y avait pas un passage actif, et nous sommes partis doucement, pour ne pas réveiller les fantômes.

Notre prochaine cible était un gros morceau : le célèbre Palais de Justice. En chemin, nous avons fait un petit détour par la Chaussée de Namur pour admirer une peinture murale peu connue, réalisée par François Schuiten dans ses jeunes années. Bien que peu obscure, le style de l'artiste est néanmoins très reconnaissable et peut-être qu'un de ces jours nous la verrons à Samaris ou dans une autre ville.

Le palais de justice est en effet immense. A tel point que l'on obtient l'effet inverse de l'effet habituel lorsqu'on compare le bâtiment réel avec son rendu par Schuiten. Alors que François a tendance à grossir les échelles, le Palais semble encore plus grand que dans les albums ! Que de pierres ! Une telle masse doit courber l'espace dans un rayon considérable, et il n'est pas étonnant que ce lieu soit un point de passage.

Les échafaudages qui entourent le dôme sont très intrigants. S'agit-il d'une tentative d'éliminer les influences obscures ? Ou, au contraire, quelqu'un essaie-t-il de coiffer le bâtiment d'une pyramide, comme le voulait Poelaert ? L'orientation est également frappante. Le côté principal fait face aux anciens quartiers prolétaires, en bas de la pente. Apparemment, l'objectif du concepteur était d'impressionner les classes inférieures par la grandeur du pouvoir officiel. Il n'est pas surprenant que le terme “architek” soit devenu une insulte ici. Tout le monde utilise l'entrée latérale, qui est plus pratique.

Plus encore que ses dimensions, il est surprenant de constater qu'une grande partie de ce volume semble dépourvue de toute fonction pratique. Des couloirs et d'immenses salles vides occupent apparemment une bonne partie de l'espace disponible. Peu de bancs, peu de statues ou de portraits, le Palais est un musée du vide. On s'attendrait à rencontrer Kafka derrière un pilier…

En fait, il n'y a pas grand monde à rencontrer. Nous n'avons pas vu vingt personnes dans tout le bâtiment, la plupart dans la vaste salle d'attente centrale. Pas même l'ombre d'un garde ! On dit qu'un complot visant à faire sauter le bâtiment a été découvert à la dernière minute, avec des explosifs trouvés au sous-sol. Je le crois volontiers ; ils ont dû les apporter par tonneaux entiers, en plein jour…

Personne ne nous a arrêtés lorsque nous nous sommes rendus dans les caves les plus profondes, où nous n'avons trouvé que des murs fraîchement érigés à des endroits où Quentin est certain qu'il y avait des tunnels il y a seulement quelques mois. Manifestement, “ils” cherchent à cacher quelque chose.

Enfin, après avoir visité des salles très intéressantes, nous avons découvert un puits, profond et mystérieux, avec une échelle qui s'enfonçait dans l'obscurité. Il était impossible d'aller plus loin, car nous avions négligé d'apporter des lampes électriques. Tout au plus entendions-nous un grondement lointain, comme l'écho étouffé de mille véhicules circulant sur des routes aériennes… La prochaine fois, il faudra mieux se préparer…

Un peu fatigués, et désireux de faire un peu de shopping, nos amis hollandais nous quittent temporairement. Quentin, Mitya et moi avons alors continué jusqu'à la station de métro Porte de Hal. Nous sommes également passés tout près de l'immense hôpital St-Pierre, qui n'est pas sans rappeler l'établissement tentaculaire conçu par le docteur Dersenval à Brüsel.

La station nous était connue par de nombreuses photos, mais c'est toujours une expérience différente de voir de tels lieux en personne. L'un des tramways fusionnés dans les murs était le célèbre 81, mais il y a aussi un 55. Cela signifie-t-il quelque chose ? Par une étrange coïncidence, il y a une ligne de bus 55 juste devant chez moi. Autant de mystères, réels ou imaginaires !….

Aujourd'hui, nous avons rencontré une autre personnalité obscure : Florence Mainguet, secrétaire de l'asbl Urbicande. Le rendez-vous est fixé aux Halles St-Géry. Encore un coup de chance : j'arrive un peu en avance et il y a une exposition d'architecture à l'intérieur. J'apprends un certain nombre de choses intéressantes sur Bruxelles ; ce voyage aura été très enrichissant !

Florence entre. Elle est charmante et très patiente avec les fêlés que nous sommes. Après une courte recherche, nous choisissons le Pathé Palace pour le dîner. La conversation est un peu moins facile qu'hier, car Florence ne parle pas aussi bien l'anglais qu'Alok. Je traduis du mieux que je peux les parties les plus complexes. Malgré ce léger handicap, nous apprenons de nombreux détails. Florence joue un rôle important dans l'administration des différentes expositions Obscures, et elle nous raconte de savoureuses histoires sur les problèmes pratiques que l'on rencontre lorsqu'on essaie de concrétiser les rêves de papier de Schuiten et Peters.

Quentin a dû s'absenter brièvement pour accueillir notre ami Olivier Tissot à la gare. Théo, comme nous l'appelons, est un Français de Toulouse qui vit à Londres. C'est un autre contact du Réseau que j'ai rencontré pour la première fois la semaine dernière, et il nous voit tous pour la première fois également. Il est regrettable qu'il n'ait pas pu se libérer plus tôt, car il a manqué plusieurs événements intéressants.

J'ai profité de l'occasion pour renouveler mon adhésion à Lumière sur les Cités, le club de l'association Urbicande. C'est peut-être la seule fois où je peux payer en liquide.

Florence avait aussi des cadeaux pour nous : de magnifiques affiches Obscures ! Nous avons terminé la soirée dans un café au superbe et flamboyant décor d'époque, où un chat dormait tranquillement sur la meilleure banquette.

Samedi 31 juillet 1999

Encore une grosse journée en perspective, mais le temps reste inébranlablement ensoleillé et très chaud. J'aurais dû emporter plus d'un pantalon court… Nous avons fixé notre point de rendez-vous devant l'église Sainte Trinité, non loin du musée Horta. Pour m'y rendre, j'ai pris le tram 81. Je comprends maintenant pourquoi cette ligne occupe une place si importante dans l'Univers des Villes. Non seulement son trajet est long et tortueux, mais il passe aussi à côté, ou à proximité, de plusieurs sites Obscurs.

Quentin et Théo sont arrivés en retard, ils ont visité les locaux de l'association Urbicande ce matin et ont littéralement dévalisé Florence Mainguet.

En les attendant, nous avons examiné la façade du lieu de culte voisin. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit bien du monument dont Freddy De Vrouw voulait se débarrasser à Brüsel. Une affichette explique qu'il s'agit de la façade de l'église des Valentins, construite par Franquart en 1620 à côté de la place de la Brouckère et démolie en 1895. Seul ce côté a été sauvé et transporté pierre par pierre jusqu'à l'emplacement actuel. Il y a des choses qui ne s'inventent pas ! Nous aurions dû nous renseigner à l'avance, le musée Horta n'ouvre pas avant 14 heures. Après avoir laissé un message à Mitya, qui n'était pas encore arrivé, nous avons réussi, après bien des contorsions, à nous glisser tous dans la voiture de Quentin.

Le Musée Weirtz était malheureusement fermé, mais la Bibliothèque Solvay était toute proche, située au milieu d'un parc, non loin du Musée d'Histoire Naturelle et de ses fameux iguanodons. En chemin, nous avons aperçu le sommet d'une partie du Parlement européen au-dessus d'une rangée d'arbres. Cela ressemble beaucoup à une scène de Calvani ! Il semble que la bibliothèque ne soit ouverte que pour des occasions spéciales, mais il est déjà très satisfaisant de pouvoir se promener dans le musée A. Desombres. Ou bien est-ce l'ancienne propriété von Rathen à Mylos, devenue par la suite la Fondation Koelber ? Non, le ciel est beaucoup trop clair aujourd'hui pour que nous soyons à Mylos.

Ce bâtiment nous pose un problème intéressant. Que fait-il ici ? A-t-il été déplacé de Laguiolle ? N'avons-nous pas vu certaines de ses pièces intérieures hier, à la caserne Albert ? Mon esprit échafaude une théorie tordue : et s'il existait une sorte de lien élastique entre la propriété von Rathen et le musée A. Desombres ? La destruction de ce dernier aurait-elle pu provoquer un choc en retour qui aurait dispersé des portions d'un reflet de l'original dans Bruxelles, ville déjà à mi-chemin entre les deux mondes ? Je regrette que François et Benoît n'aient pas pu se joindre à nous, il y aurait eu tant de questions à leur poser !

Nos amis néerlandais repartent de leur côté. Quentin, Théo et moi voulons visiter la Maison Cauchie, et ils l'ont déjà vue. De plus, ils veulent compléter leurs propres collections et vont faire le tour de plusieurs librairies situées dans le quartier.

Nous avons de la chance, la Maison Cauchie est ouverte au public un seul week-end par mois, et il se trouve que c'est le bon. Nous apprenons, à notre grande surprise, qu'il ne s'agit pas d'un monument public, mais d'une maison privée. L'ancien atelier de l'architecte, installé au sous-sol, a été transformé en un petit musée très intéressant et c'est le propriétaire qui nous guide à travers la maison.

Manifestement, le couple âgé à qui appartient le bâtiment en est très amoureux. À juste titre, car il s'agit d'un endroit magnifique. On nous raconte, avec force détails, comment la maison a été pratiquement abandonnée et a failli être détruite. Les splendides peintures murales de la salle à manger avaient été recouvertes de papier peint et les sgrafittes de la façade commençaient à se détériorer.

Avec beaucoup d'amour, les nouveaux propriétaires ont patiemment rénové les lieux, en respectant scrupuleusement le style d'origine. Le plus incroyable, c'est que l'endroit était complètement oublié du public jusqu'à ce qu'ils commencent à y travailler. On se demande combien d'autres trésors de ce genre se cachent sous de multiples couches de peinture dans cette ville.

Heureux et affamés, nous avons décidé de déjeuner sur la terrasse d'un agréable bistrot, bordant une charmante petite place publique. L'architecture de l'endroit était assez banale, mais cela ne m'a pas empêché de déguster un plat traditionnel de moules au vin blanc, accompagné d'une assiette de pommes frites, dont la réputation n'est plus à faire.

Florence Mainguet nous avait donné hier l'adresse de deux obscurologues locaux, et nous voulions les rencontrer. Philippe Blampain et James Rooms sont des collectionneurs passionnés, et ils espèrent ouvrir un jour un musée Schuiten. Apparemment, les deux amis ont rassemblé plus de trois cents affiches et gravures, plus de douze mille coupures de journaux et quelques tonnes d'obscurités diverses ! C'est assez hallucinant ! Ils travaillent tous les deux dans un magasin de lampes, et de splendides affiches de François servent à démontrer la puissance des derniers modèles, dont de superbes luminaires en forme de dirigeables. Est-ce un clin d'œil au magasin de lampes sur lequel Michel Ardan s'est écrasé dans L'Ombre d'un Homme ? Ou est-ce moi qui commence à voir des liens partout ?

Philippe et James sont en tout cas particulièrement au fait de l'aspect ésotérique des liens avec les Cités Obscures. Selon eux, la bibliothèque de Benoît Peeters contient de nombreux ouvrages très curieux. Certains détails qu'ils mentionnent sont assez difficiles à vérifier, mais je prends néanmoins des notes abondantes. L'un de leurs projets est des plus intrigants : imprimer des affiches de Schuiten sur d'authentiques papyrus égyptiens, déposés au sommet de la Grande Pyramide au moment exact de l'équinoxe…

Plus terre à terre, ils ont également réalisé les fameuses cartes d'identité Obscure, aujourd'hui utilisées par le club Lumière sur les Cités, et plusieurs documents similaires.

Encore quelques librairies, et nous retournons au Musée Horta. Celui-ci est ouvert, et nos amis sont déjà arrivés. Il vaut vraiment la peine d'être visité. Ce serait encore mieux s'il y avait encore les meubles d'origine mais, comme tant d'autres trésors, ils ont été dispersés un peu partout. Il y a des détails très ingénieux, comme ces miroirs dans la cage d'escalier et ces portes mobiles pour canaliser la circulation dans l'entrée. Mitya, qui est étudiant en architecture, est absolument radieux et prend de nombreux croquis.

Nous nous séparons à nouveau. Quentin, Théo et moi avons encore quelques librairies à visiter. Il y a vraiment des collections fantastiques dans cette ville. Note à moi-même : Il me faudra une valise plus grande pour mon prochain voyage.

Nous rejoignons le reste du groupe à l'Ultieme Hallucinatie, avec un petit détour par les Halles de Schaerbeek avant d'atteindre le restaurant. Encore un bon dîner, en bonne compagnie. Mon dernier ici, malheureusement ! C'est le cœur lourd que je quitte cet endroit. Mes amis veulent jeter un coup d'œil à la gare de Schaerbeek, mais je dois retourner à l'hôtel et préparer mon voyage de retour. Cette nuit, je me suis couchée avec un grand sourire et j'ai rêvé de constructions étranges.

Dimanche 1er août 1999

Je ne peux pas accompagner mes nouveaux amis à Mons, où ils doivent visiter le Mundaneum. Ce rêve de Paul Otlet, scénographié par Schuiten, est apparemment très intéressant. Sébastien Effinier, qui traduit en français le contenu du site “Web des Cités Obscures”, devrait cependant être présent. J'ai demandé aux autres de bien vouloir prendre des photos pour moi.

Tout le monde a été enchanté par cette rencontre et il est déjà question d'en organiser une autre. Avec un peu de chance, Schuiten et Peeters pourront participer cette fois-ci, et la Maison Imaginaire sera ouverte. Je ne pense pas retourner en Europe dans les quatre ou cinq années à venir et, malheureusement, je ne participerai probablement pas à la prochaine convention. Eh bien, c'est la vie ! Je peux au moins me consoler en pensant que je ramène de ce voyage suffisamment de matériel pour pouvoir mettre à jour le Dictionnaire Obscur pendant de nombreux mois.