Galerie anne-marie et roland pallade

Galerie anne-marie et roland pallade à Lyon a été le lieu d'une exposition avec des œuvres de Luc et François Schuiten. L'exposition a eu lieu du 11 décembre 2014 jusqu'au 24 janvier 2015.

Leurs dessins se ressemblent, ils se confondent parfois, d'autant plus qu'ils ont signé ensemble certains albums. Ils partagent la même passion pour l'architecture née d'une éducation commune, la même capacité à suggérer à travers elle des espaces et un voyage dans le temps. Il existe cependant une différence profonde dans leurs approches, qui est celle que l'on pourrait faire entre l'imagination et l'imaginaire.

Luc invente et dessine des architectures et des villes possibles, basées sur des hypothèses de futur et d'anticipation. Il se projette totalement dans ce temps à venir, et à travers ces images, il nous entraîne avec lui dans une exploration active et aventureuse. La narration qu'il met en place est celle de la société dans laquelle nous vivons, dont il tire les ficelles autant qu'il le peut, tout en préservant la notion de continuité entre les époques et les problématiques que nous connaissons et celle que nous voyons représentée. Nous sommes comme les personnages qui habitent ses architectures, invités à y entrer, à grimper dans ses frondaisons, à partager les vertiges qu'elles convoquent, vertiges à la fois spatiaux et temporels, d'autant plus impressionnants que ces villes et ces architectures prennent soin de proposer des solutions suffisamment concrètes pour être envisagées comme viables un jour. En les regardant, nous prenons place dans ces sociétés et dans les organisations et habitats qu'elles proposent. Cependant, les hypothèses techniques qui sous-tendent ces villes feuillues, suggérées avec une certaine précision, ne sont pas encore résolues. Nous sommes invités à les réaliser dans le futur. Luc Schuiten n'est pas un technicien mais un visionnaire et ses dessins s'inscrivent dans la riche tradition des architectes utopistes, qui nourrit la réflexion architecturale et urbanistique depuis la Renaissance. Il utilise son imagination pour élargir le réel, repousser les frontières du possible, il l'utilise pour nous projeter via ses dessins le plus loin possible dans le destin de l'humanité, et c'est bien là la source de la délicieuse sensation, de liberté et d'émancipation de nos limites, qu'ils procurent.

L'art de François Schuiten s'installe dans notre imaginaire sans autre but que celui de la pure délectation. Avec le même talent de dessinateur, il propose une approche totalement différente. Il rebat les cartes du temps et combine des architectures de différentes époques, mêlant souvenirs embellis des temps passés et suggestions de civilisations futures, installant des personnages et construisant un récit. Nous sommes les spectateurs émerveillés des décors qu'il met en place et de ses fascinants récits symétriques, en labyrinthes ou en énigmes, qui nous entraînent dans une déambulation spatio-temporelle, source de sensations vertigineuses. Mais il n'y a pas, chez lui, la moindre volonté de nous montrer un chemin vers un monde à venir, et le rêve est ainsi libéré de toute forme de contrainte : le cerveau n'a plus besoin de s'encombrer du principe de réalité, il flotte dans le divertissement au-delà des lois de la physique et de la morale, il s'abandonne au subconscient. Un érotisme délicieux pimente d'ailleurs ces images où la poussière du passé rencontre les aubes du futur, dans des décors magnifiques, animés par des personnages portant des costumes issus des temps bibliques. La monumentalité armée de cette liberté peut aussi tendre vers des images effrayantes, chaotiques, des associations qui remuent les tréfonds de l'âme, des vertiges invraisemblables, mais d'autant plus délicieux. Telles sont les différentes orientations prises par ces artistes, nés dans la même famille, ayant reçu la même éducation, Luc ayant douze ans de plus que son frère François, dont il a favorisé les débuts en participant à ses travaux, notamment par ses conseils et sa contribution en tant que scénariste.

Pierre Loze

Traduit en anglais par Ann Cremin