Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

the impossible & infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters

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Une remédiatisation particulière : les Cités obscures de Schuiten-Peeters comme bande dessinée « élargie » ou « éclatée » ?

A Singular Remediation: Schuiten and Peeters’s The Obscure Cities, a case of “expanded” or “shattered” comics?

This essay deals with The Obscure Cities, a well-known series elaborated by Benoît Peeters and François Schuiten between 1982 and 2019, a period that witnessed the emergence and further institutionalization of digital media. It aims at examining the way in which the author have addressed both the possibilities and challenges of digitization, while also focusing on the indirect effects of the digital revolution on a series that demontrates a strong attachment to the materiality of the book.

De l’analogique au numérique ?

La bande dessinée est un média fort stable, notamment par la persistance d’une structure fondamentale, le substrat du « multicadre » (Van Lier 1988), mais aussi très divers, avant tout par les variations de son support matériel, qui n’est pas forcément un support-papier (on peut, entre autres, peindre des bandes dessinées sur un mur ou créer une bande dessinée sur CD-ROM). L’arrivée du numérique est un nouvel avatar de ce long dialogue entre formes, supports, contenus et usages sociaux qui définissent nos idées sur et nos rapports avec les médias (Baetens 2014 et 2018, Jullier 2018). Actuellement, cette mutation est loin d’être accomplie (Baroni, Kovaliv et Stucky 2021, qui font un rapprochement tout à fait judicieux avec les obstacles auxquels se sont heurtées les tentatives de convertir les albums de bande dessinée en livres de poche) ; et l’histoire de la bande dessinée numérique a révélé nombre d’impasses et de fausses routes (Baudry 2018). Quant aux artistes, ils et elles ne cachent guère leur attachement aux outils traditionnels (Crucifix et Dozo 2018). Le cas de François Schuiten, dessinateur des Cités obscures, est représentatif de ce penchant 1), comme en témoigne Benoît Peeters, scénariste de la série :

François ne dessine jamais à la palette graphique. Il a travaillé pour plusieurs projets numériques, mais généralement dans le cadre de films (comme Les Quarxs et Mr Nobody) ou d’installations (comme Revoir Paris) ; et même dans ces cas-là, il travaille sur papier. Et pour la bande dessinée, il reste fidèle aux outils qu’il utilise depuis toujours et continue à réaliser les couleurs entièrement à la main. Comme beaucoup de dessinateurs, il est très attaché aux outils et aux supports matériels. François a vu disparaître à regret le papier à dessin qu’il utilisait depuis très longtemps, un papier très épais qui permettait de gratter un élément sans que ça se voie, c’est-à-dire de réencrer de manière absolument invisible. Ces questions très matérielles, les dessinateurs en sont globalement plus conscients que les écrivains… in De Biasi et Vergier 2016 : n.p.

S’il n’est pas pensé en termes de conflit, sur le modèle déjà ancien du « ceci tuera cela », le passage de l’imprimé au numérique est souvent interprété en termes d’expansion, le numérique « ajoutant » des possibilités auxquelles l’imprimé n’a pas d’accès, tels que le son ou le mouvement. En ce sens, la bande dessinée numérique serait une bande dessinée « élargie », « étendue », voire « éclatée » (pour reprendre la terminologie en usage dans l’histoire de l’art et les études cinématographiques, Krauss 1977 ; Soulez 2018) ou encore « remédiatisée » (pour suivre les hypothèses médiologiques de Bolter et Grusin [1999]).

Pour plusieurs raisons, la pratique de la remédiatisation n’est toutefois pas aussi simple. Il n’est pas rare qu’on fasse un usage « classique » d’un média tout à fait nouveau, phénomène déjà étudié par Marshall McLuhan avec son « effet-rétroviseur » (McLuhan et Fiore 1996 : 74–75) 2). De la même façon, l’introduction d’un nouveau média ne suit pas toujours une logique téléologique. D’une part, l’ancienne formule peut très bien subsister, d’autre part il lui arrive parfois de se réinventer. Enfin, et de manière plus fondamentale encore, la dynamique médiatique ne se réduit jamais à des rapports binaires entre un seul média « ancien » et un seul média « nouveau » ; c’est le contexte plus large, l’écologie médiatique, qu’il importe de prendre en considération.

L’exemple des Cités obscures, série aujourd’hui terminée3) (encore que), permet d’illustrer, mais aussi d’interroger la mutation des formes et des supports, notamment du point de vue de la sérialité et du multimédia. Dans ce cas les promesses d’ouverture ou d’élargissement ne sont justement pas synonymes d’abandon du livre. À l’intérieur des Cités obscures, c’est le second album, La Fièvre d’Urbicande, paru en album en janvier 1985, mais prépublié dans (À suivre) dès septembre 1983, qui occupe une place stratégique pour le positionnement médiatique de l’ensemble. Peu après la sortie du livre, le public s’est empressé d’identifier une préfiguration de la Toile dans son motif principal. Dans leur essai L’Aventure des images, paru en 1996, ouvrage qui est à la fois une relecture de la bande dessinée et une relecture de l’œuvre des deux auteurs, le scénariste et le dessinateur s’expliquent sur cette lecture :

Voici une douzaine d’années, dans La Fièvre d’Urbicande, nous avions imaginé l’histoire d’une ville totalitaire, coupée en deux par un fleuve que des règles strictes interdisaient de traverser. Dans cette cité à l’architecture écrasante et monolithique, un cube commençait à grandir et à se multiplier. Structure rigoureuse, il se développait comme un être vivant. Par sa croissance démesurée, ce Réseau bouleversait bientôt Urbicande, abolissant la frontière entre les deux rives et générant de la communication sous toutes ses formes, y compris une série de petites « maisons de rendez-vous ». À force de s’accroître, il finissait par disparaitre, laissant les habitants dans une grande nostalgie… Faut-il le dire : nous ignorions alors l’existence d’Internet et les images qui nous nourrissaient étaient d’une tout autre nature (nous pensions surtout à Berlin). Aujourd’hui, nous sommes frappés, comme bon nombre de lecteurs, par les rapports entre Internet et le Réseau d’Urbicande : c’est cette relation qui constitue le point de départ du site que nous avons récemment lancé sur le web. Schuiten et Peeters 1996 :173.

Ce glissement de la lecture est un bel exemple du phénomène pointé par Borges dans « Kafka et ses précurseurs » (2010) et auquel l’archéologie des médias nous a rendus attentifs : la possibilité de réinventer le passé à partir des nouvelles interrogations du présent (Zielinski 2006). Il faut insister sur le fait que cette nouvelle lecture n’efface pas les lectures anciennes, qu’elles soient d’ordre référentiel (le renvoi au Berlin d’avant la chute du mur garde toute sa pertinence, comme du reste l’allusion on ne peut plus nette au cube de Rubik4), ou autoréférentiel (il n’est pas nécessaire d’avoir lu les œuvres complètes de Jean Ricardou pour se rendre compte de l’analogie entre cube et case de bande dessinée ou entre réseau de cubes et « gaufrier »).

Mais que penser, à la fin du commentaire, de la mention du lancement « récent » du site par Schuiten et Peeters ? Pour une bonne compréhension de cette annonce, il importe de la situer dans le double contexte des évolutions technologiques d’une part et de l’évolution interne des recherches des auteurs d’autre part. Rappelons d’abord la date de publication de L’Aventure des images, 1996, qui est tout sauf un détail. Les années 1995–1996 sont en effet une charnière. Dans le monde de la production culturelle s’impose alors Internet comme nouveau format numérique dominant, au détriment d’un format antérieur brièvement pensé comme hégémonique, le CD-ROM. Peeters et Schuiten sont clairement à la pointe du progrès en passant du CD-ROM, support avec lequel ils avaient déjà expérimenté, comme les auteurs l’expliquent dans L’Aventure des images, à un site web « Urbicande » (www.urbicande.be), intégré aujourd’hui au site « Altaplana » (https://www.altaplana.be/​fr/​start). En même temps, force est de noter que l’élaboration du site web Urbicande est présenté par les auteurs comme un complément, comme l’exploration d’un nouveau territoire, et qu’elle constitue tout sauf une migration de l’analogique au numérique. Le numérique s’ajoute à l’analogique, et il le fait dans le même esprit d’élargissement qui a toujours défini la collaboration entre Schuiten et Peeters. Dès le début ou presque, les Cités obscures se sont métamorphosées en projet multimédia, non pas en vue de l’hybridation des formes médiatiques, mais plutôt dans la perspective de déployer un monde fictif sous plusieurs formes, dans plusieurs formats, dans plusieurs desseins : expositions, lectures-spectacles, opéra, projets annexes, posters, mais aussi continuations cinématographiques ou interventions architecturales et urbanistiques — sans pour autant s’inscrire dans une vision trop étroite du « transmedia storytelling » de Jenkins (2006). Tout comme Les Cités obscures transforment la logique traditionnelle de la série en proposant une séquence de livres qui sont à la fois partie intégrante d’un ensemble et radicalement indépendants5), la déclinaison de cet univers n’est pas régie par une « bible » sous-jacente. Si « bible » il y a, elle change d’une occurrence à l’autre de la série, qui radicalise par ailleurs la notion de « fragment », indistinctement tout et partie (Baetens 2020 : 58–73). Quoi qu’il en soit, la position centrale de l’analogique n’est pas contestée et le rapport entre livre et écran se conçoit résolument en termes non pas de concurrence, mais de complémentarité.

Numérique ou numériques ?

Revenons un instant sur L’Aventure des images, qui permet de voir plus clair dans cette position, à la fois modeste et équilibrée, mais pour cela même en accord avec l’état actuel de la question. Le livre avance un certain nombre de thèses, qui ont toutes leur importance pour la politique de Schuiten et Peeters en matière de bande dessinée numériques : 1) Même si les changements de support ne sont jamais neutres, il convient de faire une distinction radicale entre le média bande dessinée et les supports matériels qui en permettent la publication, puis la circulation. 2) Le support, quel qu’il soit, n’est jamais un réceptacle passif : il est « performatif », il porte à conséquence pour ce qu’on montre et la manière dont on le met en images. 3) Aujourd’hui, la bande dessinée peut être reproduite et lue par un grand nombre de supports, analogiques et numériques, qui sont partiellement en concurrence. De ces observations générales, Schuiten et Peeters concluent que deux écueils, similaires mais antagonistes, se dressent aux créateurs et créatrices comme aux publics contemporains : d’un côté, le fétichisme technologique, qui fait primer la prouesse technique sur le contenu tout en risquant de faire disparaître l’apport unique et original de l’ « auteur » (comme on l’entend depuis la politique des auteurs et son opposition à l’anonymat de l’industrie culturelle) ; de l’autre, la diabolisation de la technologie, en l’occurrence le numérique, qui ouvre de nouvelles possibilités à la création « auctoriale » et au développement de nouvelles formes d’interaction et de collaboration avec d’autres créateurs et créatrices mais aussi avec le public (en voie de devenir créateur à son tour). Et Schuiten et Peeters d’en déduire un programme de travail, dont les grands axes sont les suivants : 1) une grande affection pour le papier, support qui est loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités ; 2) l’acceptation de certaines limites et la prudente décision de ne pas trop s’avancer en des domaines très spécialisés, où on peut toujours craindre de ne faire les choses qu’à moitié, en l’absence des connaissances techniques indispensables ; 3) l’ouverture au travail en réseau et l’attention permanente aux articulations avec d’autres supports et d’autres médias. La suite des travaux de Schuiten et Peeters ne démentira jamais ces options fondamentales.

Une précaution s’impose toutefois. Les remarques sur L’Aventure des images et, de manière plus générale, sur les idées de Schuiten et Peeters sont à lire avec précaution. Internet, culture numérique, numérisation des médias… : tous ces concepts et ce champ de la création moderne ont été abordés comme un ensemble homogène, du point de vue non pas technologique, mais historique, comme si les transformations liées au digital constituaient une seule période, une et indivisible, ce qui est de toute évidence un contresens. La venue du numérique ne s’est pas faite en une fois. Il s’agit d’un processus plus large, inachevé du reste, dont les formes et surtout la signification ont beaucoup évolué au cours du temps.

Faisons ici une petite digression. L’exemple de la photographie permettra de se faire une idée de ces changements. L’avènement des caméras numériques et, partant, les possibilités accrues d’une rapide et facile transformation des images — la manœuvre en soi n’a rien de neuf, mais elle fut longtemps lente et coûteuse — ont rapidement déclenché une controverse sur l’éthique du photojournalisme et, de manière plus intéressante, une réflexion intense sur l’essence de la photographie, située alors du côté de l’index. Dans les premières années de l’image numérique, elle était parfois accusée de relever davantage de la peinture (référentielle mais non indicielle) que de la « vraie » photographie (à la fois référentielle et indicielle, voire référentielle parce que indicielle), et on se rappelle les débats déontologiques sur l’emploi journalistique de photos facilement manipulables. Il n’est guère utile de revenir sur ces questions, si ce n’est pour remarquer à quel point elles paraissent aujourd’hui vieillies, totalement dépassées. De nos jours, la photographie numérique fait surgir de tout autres questions — celles notamment liées à l’explosion immaîtrisable des images dans l’iconosphère ayant pris la place du logosphère — qui montrent bien à quel point il est capital de toujours historiciser les problèmes qu’on analyse.

Au risque de simplifier à l’outrance un historique très complexe et tout sauf platement linéaire, on pourrait distinguer quatre grandes étapes de la numérisation dans le domaine culturel. D’autres découpages sont sans aucun doute possibles et souhaitables, mais l’essentiel est de voir qu’il est un peu dangereux de réduire la venue du numérique à un « tournant » et d’essentialiser autour d’un schéma unique la rupture de la numérisation.

Premièrement, une période (jusque vers la fin du xxe siècle) qui met l’accent sur la spécificité du « signe » digital, c’est-à-dire sur les particularités de son mode de production et les propriétés du résultat obtenu, différentes des traits caractéristiques des signes analogiques comme par exemple la mobilité des signes, facilement (?) transformables en eux-mêmes et pouvant migrer plus ou moins librement (?) d’un support à l’autre. Dans ce premier temps, l’accent est mis sur la distinction entre signe « numérisé » (soit un signe analogique copié sous une forme digitale, quelle qu’elle soit) et signe « nativement numérique » (généré à l’aide d’outils digitaux en vue d’une lecture sur écran et largement rétive à une reproduction sous forme analogique). Cette première période, celle de l’antithèse du papier et de l’écran, n’a rien perdu de son actualité ni de sa pertinence, mais les questions qu’elle soulève se sont vu dépasser par de nouvelles problématiques.

Dans une seconde période, celle du Web 2.0 (généralement située après 2001), l’attention se déplace de la nature des signes à la position de l’utilisateur, plus exactement à l’autorisation, technique aussi bien que politique et idéologique, donnée au public d’intervenir collectivement sur les contenus publiés sur la toile. C’est l’époque des contenus générés par l’utilisateur ou l’utilisatrice, avec comme mots clé interaction, cocréation, appropriation et ainsi de suite. Les médias sociaux telles que nous les connaissons aujourd’hui en sont une forme « normalisée », sous haute surveillance politique et institutionnelle.

Une troisième période, déjà largement présente dans l’étape précédente (et en fait partie prenante de l’imaginaire de la toile depuis ses tout débuts, mais de plus en plus visible vers la fin de la première décennie de ce siècle), voit émerger la place centrale de l’articulation des divers types de formes et de réseaux numériques. L’apparition, puis la diffusion des techniques de « transmedia storytelling » en sont une illustration dans le champ de la production culturelle. Là encore le phénomène est tout sauf inédit : la dissémination médiatique est observée dès l’essor de la culture médiatique de masse.

Enfin, une quatrième période — et une fois de plus il serait faux de crier à la nouveauté absolue — serait celle de l’accélération et de la surproduction l’une et l’autre quasi incontrôlables des ressources numériques (il suffit de penser à l’augmentation vertigineuse, mois après mois, de clips YouTube et l’intégration de plus en plus poussée des divers systèmes numériques). Comme le développe Bertrand Gervais (2021), la culture numérique est une culture de l’« exhaustion » : si on ne peut pas « tout » faire, ne fût-ce que parce que tout n’est pas permis ou pensable, il est maintenant possible d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire d’épuiser toutes les possibilités et d’accumuler à l’infini, à l’intérieur d’une certaine démarche. Toutefois, cette explosion quantitative ne signifie nullement un passage définitif de l’analogique au numérique. Au contraire, cette période voit se multiplier des effets de boucle de rétroaction du numérique sur l’analogique et, plus généralement, des va-et-vient entre le livre et l’écran. Or ces échanges ne se conçoivent plus sur le seul mode de la « traduction », mais d’un renouvellement des pratiques à partir de questions posées dans des médias a priori tout différents. Pour ce qui touche au livre, la question n’est plus dès lors de défendre ou non le livre tel qu’on le connaît, d’y revenir ou non après un intermède digital, mais d’examiner quel type de livre et quel type de rapport entre analogique et digital il convient de mettre en pratique au terme de toutes ces mutations. La pratique d’une maison d’édition comme JBE (Jean Boîte éditions) est caractéristique de ces va-et-vient entre le livre et l’écran.

Le post-numérique de Schuiten et Peeters

Comme l’a montré Julien Baudry dans Cases-Pixels (2018), la rencontre de la bande dessinée et de la culture digitale n’a pas seulement suivi les évolutions technologiques en la matière, elle a consisté aussi et avant tout en la recherche d’un modèle esthétiquement et économiquement viable (une sorte de « killer application », comme disent les anglophones), la « culture » digitale étant tout d’abord une « industrie ». À l’heure actuelle et laissant de côté le seul transfert numérique des albums et le domaine des jeux vidéo, qui représentent un autre média, ce modèle se trouve plutôt du côté des blogs et des archives, elles plus ou moins « sauvages » (De Kosnik 2016), mais aussi, et de manière peut-être plus surprenante, dans la formule aussi simple qu’efficace du diaporama, encouragée sans doute par le succès du mode de présentation qu’a popularisé le logiciel Microsoft Powerpoint. La bande dessinée nativement digitale qui semble fonctionner le mieux, à l’exception du Webtoon qui prend la forme d’une bande à défiler verticale, consiste à faire défiler une œuvre case par case, avec la possibilité d’y ajouter une bande-son et quelques techniques d’animation, sans oublier bien sûr les possibilités d’une articulation avec d’autres supports et d’autres médias.

Quelle est la place des Cités obscures dans ce tableau ? La série a incontestablement fait œuvre pionnière. Peu de créations sont allées aussi vite et aussi loin dans la diversification médiatique, dans une perspective qui n’est ni celle de la simple promotion des œuvres sur papier, ni celle du « transmedia storytelling », puisque l’exploration d’autres médias et d’autres supports ne se limite jamais à décliner la même œuvre ou le même monde fictif selon diverses modalités. L’aspect le plus intrigant des recherches digitales de Schuiten et Peeters est toutefois l’abandon du site www.urbicande.be, que L’Aventure des images décrivait encore comme l’avenir numérique des Cités obscures. Dans un entretien récent, Benoît Peeters fait un diagnostic très honnête des obstacles rencontrés :

Vers la fin des années 1990, François et moi avions créé un site, Urbicande, dans le but d’offrir au lecteur un équivalent numérique de l’expérience des Cités obscures, c’est-à-dire de l’expérience d’une entrée dans un monde inconnu où l’idée de découverte permanente et de surprise labyrinthique était plus important que celle d’un voyage à travers un territoire déjà jalonné. Un des aspects distinctifs du site était par exemple que chaque nouvelle visite était nécessairement différente de toutes les précédentes, une expérience que certains lecteurs trouvaient non seulement déroutante mais presque impossible. En fait ils pensaient que c’était une erreur de construction 6). Baetens 2020 : 144, notre traduction.

L’abandon du site Urbicande.be, puis son intégration à un site d’une tout autre nature, plus informatif et encyclopédique que narratif ou immersif, ne manquent pas de logique. Il représente même une bonne illustration de l’expression « reculer pour mieux sauter ».

D’un côté, la non-continuation du site s’explique parfaitement à la lumière du programme esquissé ci-dessus, qui conseille aux créateurs et aux créatrices de bande dessinée de ne pas se perdre dans des démarches où ils et elles n’auront jamais la possibilité de vraiment réussir et dont les investissements en temps, en savoir-faire technique mais aussi en énergie créatrice, vont inéluctablement divertir de l’essentiel. De l’autre, non-continuation n’est pas synonyme d’arrêt. Urbicande.be a été absorbé par le site Altaplana. S’il s’agit à l’origine d’un site de fan, il constitue aujourd’hui le site officiel des Cités obscures, dont il structure et consolide l’univers. Le point essentiel est ici l’abandon des ambitions immersives d’Urbicande.be : le nouveau site ne cherche plus à simuler l’effet ou l’impression de surprise permanente que vivent les lecteurs et les lectrices, mais à vrai dire aussi les personnages des Cités obscures. Altaplana se propose de construire un univers sous la forme d’une encyclopédie, mais précise d’emblée que telle encyclopédie est « impossible et infinie » (Altaplana, page d’accueil), ce qui crée à un autre niveau et avec de tout autres moyens une nouvelle forme de perte de repères, moins par le choc d’images et de récits parfois très insolites, mais par un effet d’accumulation qui devient vite incontrôlable, sans pour autant être désorganisée. Le site propose en effet trois axes de lecture : les milliers de pages disponibles, toutes fortement connectées les unes autres aux autres, peuvent se parcourir de trois manières différentes : 1) par ordre logique : personnes/cités/albums/d’autres sujets ; 2) par ordre chronologique : chronologie/chronologie obscure/nouvelles pages ; 3) par ordre alphabétique. Inutile de souligner que l’ironie ne perd pas ses droits et que la charte de lecture proposée, qui ne dissimule nullement ses propres limites (que penser par exemple de la section « nouvelles pages » au sein de la rubrique « par ordre logique » ?), ne tarde guère à rappeler certaines listes plus fantaisistes, voire farfelues.

La force d’Altaplana, dont le principe de base est encyclopédique, tient à sa modestie même, qu’il dépasse par son attention aux usages et continuations du monde de Schuiten et Peeters. Altaplana offre en effet le meilleur de deux mondes : le site propose une vue détaillée des mille et une facettes des Cités obscures ; il se veut aussi une fenêtre ouverte sur tout ce que les lecteurs de la série « font » avec les éléments du monde fictionnel.

Il est capital de souligner qu’Altaplana n’est pas géré ou contrôlé par Schuiten et Peeters, mais par Eilko Bronsema, responsable hollandais du site, lié aux deux créateurs par un contrat de confiance. La présence des Cités obscures dans le monde numérique n’est donc pas fonction de la seule implication des auteurs. De la même façon, l’impact de la numérisation sur le travail de Schuiten et Peeters est plus large que la seule production d’œuvres ou de prolongements sur le Web. L’influence du numérique est souvent décalée, indirecte, à retardement, ce qui ne veut pas dire de moindre portée que le remplacement de l’analogique par le digital.

Je voudrais donner trois exemples de ces effets obliques. Tout d’abord, l’amour accru du livre et du papier, y compris dans les formes les plus contemporaines de la bande dessinée. À cet égard, la défense d’un auteur comme Chris Ware, dont Benoît Peeters fut un des premiers promoteurs en France, est un geste de grande valeur symbolique. Dans le livre qu’ils ont consacré à Ware, Benoît Peeters et son co-auteur, Jacques Samson, insistent beaucoup sur l’importance des aspects traditionnellement artisanaux du dessin de l’artiste américain (Peeters et Samson 2022), tant pour ce qui est des matériaux utilisés que du processus d’élaboration des images, des planches et des publications (le livre accompagnait aussi une exposition de Ware début 2022 à Angoulême, puis reprise à Paris).

Ensuite, la sensibilité de plus en plus nette à la dimension économique du travail créateur, très touché par le passage au numérique. L’attention au droit d’auteur est tout sauf nouvelle chez Benoît Peeters, mais il n’est pas faux de supposer que le souci d’une juste rémunération des auteurs s’est vu accéléré par les bouleversements numériques. Cofondateur de la Ligue des auteurs professionnels, Peeters se bat sans arrêt pour la défense de leurs intérêts à l’ère numérique 7).

Enfin, l’approfondissement des liens entre bande dessinée et autres médias, numériques ou non. Les Cités obscures ont d’emblée embrassé le modèle du multimédia, non pas en vue de l’orientation sur les nouveaux médias de plus en plus hybrides, englobant si possible l’ensemble des médias existants (version digitale du rêve de l’œuvre d’art totale du xixe siècle), mais dans l’optique d’une mise en réseau de médias gardant chacun leur propre spécificité. Pareille articulation, toutefois, n’est plus le seul fait des auteurs : les Cités obscures réservent une place certaine à l’appropriation par les lecteurs et les lectrices, cependant que Schuiten et Peeters se montrent particulièrement généreux pour ce qui est du droit de citation, y compris dans certaines formes d’appropriation ou de continuation.

S’agissant ainsi d’Altaplana, la plateforme numérique qui a succédé au site Urbicande, cette logique d’extension de l’univers des Cités obscures prise en mains par les lecteurs, est à la fois discrète et radicale. Discrète, parce que l’enrichissement continuel du site, du travail du seul Eilko Bronsema, commissaire du projet davantage que simple méga-fan, a toujours respecté le genre du guide ou de l’encyclopédie (Altaplana n’est pas un site de fan fiction, mais d’information). Radicale, parce que l’ajout des matériaux se fait d’une manière qui se veut fidèle au brouillage des frontières entre fait et fiction propre à la série de Peeters et Schuiten. C’est ainsi que le responsable du site attribue le travail d’organisation du site, tant pour ce qui est du classement des éléments que de leurs gloses, à des personnages habitant le « Continent Obscur » et dotés d’un curriculum vitae qui n’a rien à envier à ceux des bandes dessinées. On trouve ainsi, toujours sur la page d’accueil d’Altaplana, le message suivant :

Après une longue période, Joseph Le Perdriel a organisé le chaos en mettant en place un système qui a rendu possible de classer les documents par ordre alphabétique, chronologique et logique tout en même temps. En 2011, ce système a permis de lever l’embargo sur l’information et de rendre accessible à tous les archives d’Altaplana.

Ces archives comprennent environ 3786 pages qui grandissent jour après jour. Découvrez le monde des Cités Obscures ! Consulté le 19 mai 2022.

En cliquant sur le nom « Joseph Le Perdriel », on accède à une fiche biographique, entièrement bâtie sur le principe de la confusion entre réalité et fiction. La fiche (uniquement disponible en anglais de manière provisoire) présente trois différentes personnes portant le même nom : 1) un ancien habitant de la ville de Groningue, Pays-Bas, créateur d‘un site trilingue sur Les Cités obscures, qui aurait trouvé un des passages permettant de passer du monde réel au monde des Cités obscures ; 2) un auteur de plusieurs publications sur Les Cités obscures ; 3) l’archiviste actuel d’Altaplana. La même fiche précise encore qu’on ignore si les trois Joseph Le Perdriel sont la même personne ou si l’un d’entre eux est Eilko Bronsema. Sur la même page, d’autres liens renvoient à de nouveaux détails de la biographie, des archives, des recherches et des publications de ce Joseph Le Perdriel, qui s’insère ainsi dans l’univers des Cités obscures avec un mélange de liberté complète (les ajouts du responsable du site ne sont pas « surveillés » par Peeters et Schuiten) et de grande fidélité à l’esprit du projet des Cités obscures. Officiellement « clos » par les auteurs originaux, ce projet reste cependant ouvert à des expansions et des appropriations qui échappent au clivage traditionnel des suites autorisées versus non autorisées, la logique interne de la série de Peeters et Schuiten étant à même d’intégrer des ajouts très libres sans que se voie cassée la paradoxale unité d’un monde à la fois reconnaissable et impossible à localiser dans le temps et dans l’espace, puis d’une technique narrative fortement liée à l’objet-livre mais qui ne s’interdit aucune migration vers d’autres supports.

Conclusion

En conclusion, les Cités obscures apparaissent comme un exemple sans doute peu typique mais capital pour le débat sur la numérisation de la bande dessinée. De prime abord, la série demeure fidèle au support-papier traditionnel, alors que les compléments digitaux de la création sont confiés à une structure externe, le site Altaplana. Dit autrement : Schuiten et Peeters sont résolument du côté de ce que Jean Paulhan se plaisait à appeler la « maintenance ». Mais cette apparente neutralité à l’égard de la révolution numérique ne doit pas faire écran à d’autres effets, moins directs mais tout aussi importants que la production d’œuvres digitales, comme les nouvelles formes de collaboration avec le public dans un éventail de médias très large. En ce sens, les Cités obscures pourraient s’avérer à terme comme un des vrais modèles de l’imbrication du livre et de l’écran à l’ère du multimédia. Il convient aussi d’insister sur le fait que l’effort d’aboutir à de nouvelles articulations entre l’analogique et le numérique ne s’arrête nullement à des questions purement formelles ou technologiques, mais intègre aussi le contexte culturel plus large, avec notamment une attention accrue pour le rôle actif et créateur du public et les possibilités ouvertes à de nouvelles formes de co-création.

BIBLIOGRAPHY

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REFERENCES

Electronic reference Jan Baetens, “Une remédiatisation particulière : les Cités obscures de Schuiten-Peeters comme bande dessinée « élargie » ou « éclatée » ?”, Comicalités [Online], Ce que le numérique fait à la bande dessinée, Online since 01 December 2022, connection on 25 December 2022. URL: http://journals.openedition.org/comicalites/7624; DOI: https://doi.org/10.4000/comicalites.7624

ABOUT THE AUTHOR

Jan Baetens est professeur émérité d’études culturelles et littéraires à l’université de Leuven. Il est l’auteur de nombreuses publications sur la bande dessinées et d’autres formes de récit visuels sous forme imprimée. Quelques récents livres sont The Film Photonovel. A Cultural History of Forgotten Adaptations (Texas UP, 2019) et un volume sur Schuiten et Peeters : Rebuilding Storyworlds (Rutgers UP 2021). Jan Baetens is professor emeritus of cultural and literary studies at the University of Leuven. He has published widely on comics and other forms of visual narrative in print. Some recent publications are The Film Photonovel. A Cultural History of Forgotten Adaptations (Texas UP, 2019) and a book on Schuiten and Peeters: Rebuilding Storyworlds (Rutgers UP 2020).

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Bande dessinée, formats, hors-champ : l’enseignement des blow books [Full text] What “blow books” can teach us on publication formats and offscreen mechanisms in comics Published in Comicalités, Bande dessinée et culture matérielle

1)
Il convient toutefois de se demander aussi si la position de Schuiten n’est pas surtout représentative d’une génération déjà ancienne de dessinateurs malgré sa productivité contemporaine. Cependant, cette relative « nostalgie » des outils traditionnels est loin d’être méprisée par les nouvelles générations.
2)
Cet effet rétroviseur désigne une certaine manière d’appréhender le futur à travers les formes anciennes, dont nous pensons qu’elles se maintiennent dans les révolutions technologiques : on voit ainsi le monde dans un rétroviseur et on marche vers l’avenir à reculons.
3)
Une édition « intégrale » en quatre tomes est paru aux éditions Casterman entre 2017 et 2019 (on se rappelle que les premiers éléments de la série avaient commencé à paraître dans (À suivre) dès 1982.
4)
Inventé en 1974, le cube de Rubik n’est commercialisé par le producteur de jouets Tom Kremmer qu’au début des années 1980.
5)
Voir aussi influence de l’évolution du magazine (À Suivre) (Peeters 2018) et la tentation de créer une nouvelle tension entre livre et planches indépendantes, très visible dans certains volumes des Cités obscures et plus encore dans certains projets annexes comme L’Archiviste (Schuiten et Peeters 1987).
6)
« In the late nineties, François and I had created a site, Urbicande, which aimed at providing the reader with a digital equivalent of the Obscure Cities experience; that is, the experience of entering an unknown world where the idea of permanent discovery and labyrinthine surprise was more important than that of traveling through an already-charted territory. One of the specific features of the site was for instance that each new visit was necessarily different from the previous ones, an experience some readers found not only bewildering but almost incomprehensible. They actually thought it was a bug. »
7)
Voir l’entretien avec Raphaël Bourgois sur le site AOC : « Benoît Peeters : “Le droit d’auteur est devenu un simple principe et non une réalité tangible” ». En ligne : https://aoc.media/entretien/2020/03/06/benoit-peeters-le-droit-dauteur-est-devenu-un-simple-principe-et-non-une-realite-tangible/ (Bourgois 2020).