Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

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Le Réseau d'Urbicande

by Nathalie Aymé - La Réunion

Cette pièce a été écrite par une équipe de trois élèves, chacun accompagné d'un enseignant. Elle a été jouée à quatre reprises, dans le courant du mois de juin 1996. L'une des représentations a eu lieu au musée Stella Matutina, à Saint-Leu (la Réunion), en présence de Benoît Peeters, le scénariste des Cités Obscures. Demandez-lui donc comment il l'a trouvée…

Le contenu de la pièce

Les personnages

Acte I

  • la Présidente : genre président de Tribunal, c'est un scientifique qui préside une assemblée ayant à la fois le savoir scientifique , la compétence juridique et le pouvoir politique . Objectivité absolue.
  • le Procurateur : genre de procureur; c'est aussi un scientifique, ombrageux, jaloux de son pouvoir et des prérogatives de sa caste.
  • l'Assesseur : sorte de greffier; homme à tout faire du Tribunal; d'abord insignifiant puis prendra de plus en plus d'importance au fur et à mesure que la pièce avancera.
  • Robick : savant fou ou fou se faisant passer pour un savant ; très agité, exalté, plus ou moins débraillé.
  • les Témoins du Réseau : secte militant pour la reconnaissance et l'instauration du Réseau.
  • le gourou : guide spirituel des Témoins du Réseau
  • les infirmiers : emmèneront le pseudo-Rubick vers un asile plus reposant ( 1 garçon + 1 fille )
  • l'intervenante : dans le public ; sa tenue importe peu.
  • 2 passantes : tenue indifférente

Acte II

  • la mathématicienne : très universitaire de haut niveau, compétent et prudent .
  • le musicien : en frac et noeud papillon
  • Michèle Ardant : aventurière impétueuse, caractère fort, ayant beaucoup vécu et voyagé
  • 2 gardes attachés à l'Assemblée des Scientifiques.

Acte III

  • l'historienne : passionnée, exubérante, bavarde, un peu fofolle
  • la biographe : genre professeur ancienne école, vieille fille, timide, complexée sauf quand elle parle de sa spécialité où elle fait preuve d'aisance.
  • la critique d'art : imbue de sa personne, égocentrique, genre Castafiore, pédante
  • les stipendiaires : hommes de main du procurateur

( - éventuellement : les amazones de l'assesseur qui neutraliseront les sbires du Procurateur, rôle normalement tenu par les danseurs et danseuses de la partie chorégraphique, dont le costume a déjà été conçu )

  • la déesse du Réseau : sera certainement une enfant d'une dizaine d'années, elle doit donner à la fois une impression de fragilité et de force rayonnante.

Prologue

Mme Museau sur scène lit un journal - mimiques tendant à faire deviner ce qu'elle est en train de lire. Arrive Mme Raymonde qui lit par-dessus son épaule : mimiques semblables . Mme Museau s'apercevant de la présence de Mme Raymonde.

Museau : Bonjour, Mme Raymonde.

Raymonde : Bonjour, Mme Museau .

Museau : Vous avez vu dans le journal ? Encore le Réseau !

Raymonde : Le Réseau ?

Museau : Oui, le Réseau, le Réseau ! Tout le monde en parle ; même qu'ils commencent à me chauffer les oreilles, avec leur Réseau .

Raymonde : Eh bien, pour ma part, je ne connais pas ce Réseau. Vous savez, moi, j'arrive de l'Anapurna , d'une retraite de trois ans chez les moines tibétains. Je ne me suis pas tenue au courant de l'actualité.

Museau : Chez les moines de l'Anapurna ? Mais qu'est-ce-que vous êtes allée fabriquer là-bas ?

Raymonde : Oh ! Plein de choses … Tenez, une nuit, là-bas, les étoiles sont devenues complètement folles. Pendant une demi-heure, elles se sont mises à danser et à former des figures bizarres, des cercles , des carrés, surtout des carrés, des losanges,des triangles…

Museau ( soupçonneuse ) : Ils fument du zamal, vos moines tibétains ?

Raymonde : Non, non! Pensez-vous ! Des moines, de véritables ascètes. Et d'ailleurs, moi aussi, j' ai vu ces étoiles …

Museau : M-ouais ! Assiettes ou pas , m'ont pas l'air très clairs , vos moines !

Raymonde : Mais je vous assure ! D'ailleurs, ils ont inventé un nouveau culte pendant mon séjour. Ils ont d'abord changé de coiffe. Avant, ils avaient des chapeaux ronds …

Museau : Comme les Bretons ?

Raymonde : Euh! un peu, oui. Eh bien, maintenant ils ont des chapeaux carrés !

Museau : Comme les curés ?

Raymonde : Euh ! c'est ça , mais en jaune …

Museau : Hé ben dites - donc, en voilà une nouvelle ! Vous m'en direz tant !

Raymonde ( fière d'avoir impressionné son interlocutrice ) : Et leur salut , savez-vous comment ils font leur salut maintenant ?

Museau : Ma foi, non . Comme les militaires ?

Raymonde : Non … Avant, ils le faisaient comme ça ( salut à l'indienne ). Maintenant, ils le font comme ça ( mains ouvertes au-dessus de la tête formant un losange avec les pouces et les index se rejoignant )

Museau : Comme ça ? Vous êtes bien sûre ?

Raymonde : Oui, j'en suis sûre. Pourquoi ?

Museau : Ben parce que c'est comme ça qu'ils tiennent leurs mains, les nouveaux toqués .

Raymonde : Quels nouveaux toqués ?

Museau : Ben, les toqués du Réseau !

Raymonde : Ah ! ce Réseau dont vous m'avez parlé tout à l'heure, ceux dans le journal ?

Museau : C'est ça même. Voyons ce qu'ils racontent , dans le journal : “ Conférence du Réseau : jour J . C'est aujourd'hui, mardi 4 juin ( date à modifier selon circonstances ) que s'ouvrira au Conseil Supérieur des Sciences Dominantes, autrement dit le CSSD …

Raymonde : Le CSSD ?

Museau : Oui, le CSSD; pourquoi ?

Raymonde : Je croyais que c'était un club de foot …

Museau : Oh ! là, là. On voit que ça fait longtemps que vous ne vous tenez plus au courant, vous ! Non, le CSSD, c'est là qu'ils décident de tout, de notre présent, de notre avenir, et même paraît-il de notre passé !

Raymonde : De notre passé aussi.

Museau : Oui, oui ! Ils peuvent faire ça !

Raymonde : Mais que veulent-ils au juste ?

Museau : Ben laissez-moi lire sans m'interrompre et vous le saurez !

Raymonde : Bon, bon ! je ne dis plus rien .

Museau ( rouvre son journal d'un air important ) : ” C'est aujourd'hui, mardi 4 juin que s'ouvrira…bla bla bla … la Conférence sur le Réseau qui déchaîne les passions tant chez les partisans que chez les adversaires du Réseau … bla bla bla … Rappelons que les Témoins du Réseau, de plus en plus nombreux, affirment qu'un monde supérieur s'est manifesté sur notre Terre et qu'il a été révélé à Eugène Robick . Cet Eugène Robick, savant génial pour les uns, dangereux illuminé pour les autres, clame à qui veut l'entendre que le règne du Réseau approche . Et ils sont de plus en plus nombreux à l'écouter …

Raymonde : Quelle date avez-vous dit ?

Museau : heu … le mardi 4 juin .

Raymonde : Mais c'est aujourd'hui !

Museau : Bon sang, c'est vrai, on est le 4 juin. Ben, dites-donc, va y avoir du spectacle !

Raymonde : Mais pourquoi appellent-ils cela le Réseau , et pas, je ne sais pas moi, le Réglisse ou la Tête de Veau ?

Museau : J'en sais trop rien . Vous savez , vous, pourquoi vos moines tibétains, ils portent des chapeaux carrés et les mains … en as de pique ?

Raymonde : Non.

Museau : Alors comment que vous voulez que je vous explique, moi, pourquoi ils s'appellent le Réseau , ces enluminés …

(Elles s'éloignent de la scène tout en bavardant pendant que l'assesseur et ses aides installent le décor )

Raymonde : On ne dit pas enluminés mais illuminés.

Museau : Oui ben enluminés ou illuminés, moi je vous dis que tout ça va mal finir . J'aime pas leur façon de parler et de se tenir : c'est pas bien régulier, tout ça, que j' vous dis …

Raymonde : Mais peut-être ne sont-ils pas dangereux …

Museau : Pas dangereux ! … Pas dangereux ! Vous en avez de bonnes … bla bla bla …

Acte I

Présidente : Depuis quelque temps, un mythe étrange, que la rumeur a baptisé Urbicande est venu hanter notre monde, troublant les esprits, s'immisçant dans toutes les conversations, semant l'angoisse, la confusion, le désordre. Est-ce une fièvre maligne, un cancer de l'intelligence ? Les esprits faibles, les sans - éducation, les vieillards et les enfants ne sont pas les seuls à être touchés. Notre monde est-il en train de basculer dans la superstition ? Le Réseau est-il légendaire ou existe-t-il vraiment ? Ce symposium a été convoqué pour répondre à ces questions. Le tribunal écoutera et examinera tous les témoignages qui lui seront proposés avec la plus grande attention et la plus rigoureuse objectivité . J'appelle à la barre l'homme qui prétend être à l'origine de cette découverte et qui a tenu à s'exprimer sur cette affaire le premier. Monsieur l'Assesseur, veuillez faire avancer M. Eugène Robick.

( Eugène Robick apparaît : l'air un peu fou, très exalté ; est-il Robick ou qqu'un qui se prend pour Robick; et même s'il est le vrai R., ce qu'il va dire est-il vrai ou cela sort-il de son imagination maladive ? )

Présidente : M. Robick, pourquoi soutenez-vous que le Réseau existe ?

Robick : Tout a commencé le 24 juin 2032. Klaus et Friedrich m'ont apporté une sorte de cube qui, selon eux, avait brisé une lame d'extracteur, qui est pourtant faite dans une matière d'une solidité à toute épreuve. Cet objet n'avait pourtant rien de très remarquable. C'était une simple structure cubique totalement vide dont les arêtes ne devaient pas dépasser 15 centimètres. ( il pourrait en montrer un exemplaire )

Procurateur : Vous voudriez nous faire croire qu'un cube dont les arêtes ne dépassaient pas 15 cm a brisé une lame d'extracteur ? et a ensuite envahi votre monde ?

Robick : Au début, je croyais que c'était un ancien accessoire liturgique,mais le lendemain… le cube avait grandi ! … Le plus curieux, c'est que l'objet s'est comme incrusté dans la table et les livres sur lesquels je l'avais laissé le 24 . Tous mes efforts pour l'enlever sont restés inutiles, je n'ai réussi qu'à me blesser les mains. ( il montre la cicatrice )

Procurateur : Est-il vrai qu'entre-temps, le projet sur lequel vous travailliez depuis très longtemps avait été mis en péril par le refus des autorités de construire un pont auquel vous teniez énormément ? ( où ? )

Robick : Oui, mais …

Procurateur : Ne croyez-vous pas que vous vous êtes imaginé tout cela sous l'effet du dépit et de la colère face à ce refus ?

Robick : Non, pauvre crétin ! ( se calmant ) Même Thomas a essayé de l'enlever, en vain .

Présidente : Poursuivez .

Robick : Après le départ de Thomas, je me suis replongé dans la contemplation du cube. Le plus remarquable était que le cube initial grandissait et qu'en même temps, d'autres cubes venaient se greffer sur le premier. J'ai essayé d'étudier l'évolution de ce phénomène. Mais fatigué, je me suis endormi. A mon réveil, le 26 juin, j'ai d'abord cru à une hallucination tant le réseau de cubes s'était développé autour de moi. Il occupait presque toute la pièce, m'emprisonnant dans l'échafaudage qu'il venait de former. Et l'un des montants me traversait le bras. Il m'était impossible de bouger. Curieusement, il ne me causait aucune douleur. Mais je sentais que si j'essayais de me déplacer, je me blesserais gravement.

Procurateur : Vous voudriez nous faire croire qu'un montant vous traversait le bras et que vous vous en êtes sorti sans aucune blessure ? Je pense que cet homme est en train de délirer .

Robick : Pauvre ignorant ! Il m'a fallu prendre mon mal en patience et attendre plus de 3 heures que le développement du réseau me permette de dégager mon bras.

Présidente : Mais avez-vous réussi à établir une formule de cette évolution ?

Robick : Oui et la voici : Un = ( 2n + 1) + 4 ( 1 ( 2n + 1) + 2 ( 2n - 3) + 3 ( 2n - 5 ) + 4 ( 2n - 7 ) …

( La formule est projetée sur l'écran )

Quelqu'un dans la salle ( = l'intervenant ) : Vous n'êtes qu'un fou. Cette formule est de la plus haute fantaisie. Votre place est dans un asile !

Robick : Je ne suis pas plus fou que vous ! Cette formule m'a permis de suivre heure par heure l'évolution du phénomène. Au stade U3 il n'y avait que 63 cubes; en U5, il y en avait déjà 231; en U8, 831, en U10, 1561 …

Procurateur : Et on pourra faire un élevage de cubes ! Ah! Ah! Ah!

Robick : Riez tant que vous le pouvez encore. Nos terres ont déjà été envahies et les vôtres ne tarderont pas à l'être.

Intervenant : Arrêtez ces balivernes. Ce Réseau n'existe que dans votre imagination .

Robick : Vous avez dit Réseau. Je n'ai jamais prononcé ce mot. Cela prouve bien que le Réseau est en train d'envahir notre planète !

Intervenant : Vous divaguez complètement !

Robick : Moi, divaguer ! ( voix d'hypnotiseur ? )Regardez autour de vous : ne voyez-vous pas les ombres du Réseau vous cerner peu à peu ?

Intervenant ( d'une voix tremblante ) : Vous voulez seulement me faire peur .

Robick : A quoi cela me servirait-il ?

Intervenant ( avec une voix d'enfant ) : Je …je ne sais pas , moi …

Robick : Vous n'êtes toujours pas convaincu (e) ? Vous vous souvenez d'une mode vestimentaire assez particulière , la mode du réseau ?

Intervenant : La mode du réseau ?

Robick : Oui, celle que vous appeliez ici mode à carreaux … Mais … il me semble vous reconnaître; n'êtes- vous pas une envoyée du Réseau ?

Intervenant : Moi ? Non, non. Absolument pas !

Robick : Mais si ! Je vous reconnais. Vous faites partie du Réseau ! ! Regardez sa chemise !

( L'intervenante porte effectivement une chemise à carreaux. Affolée, elle l'enlève et s'enfuit )

Robick (au public ) : Je fais appel à vous dans la salle. Je suis sûr que certains d'entre vous sont des membres du Réseau. n'ayez pas peur comme cette mauviette. Nous pouvons nous entendre. Aidez-moi à faire vivre ce Réseau. ( pendant qu'il parle , 2 infirmiers s'approchent doucement de lui et l'emmènent plus ou moins de force vers la sortie; il parlera encore pendant le trajet ) A l'heure qu'il est, le Réseau continue à grandir à travers les galaxies, invisible pour nous, frêles créatures, mais perceptible peut-être pour d'autres yeux. Grâce à moi, tout cela pourra recommencer. La route sera longue, semée d'embûches, mais je sais qu'un jour, nous y parviendrons, et ce jour-là, nous pourrons vraiment revivre. Mais sachez-le, sachez-le bien : le Réseau existe, oui, le Réseau existe ( ad infinitum jusqu'à sa complète disparition )

Acte II

Tableau 1 : Sylvie Bourbaki et son calculateur

Présidente : Nous appelons maintenant à la barre le professeur Sylvie Bourbaki, docteur ès sciences et chercheur à la faculté des sciences de Bruxelles. Elle travaille plus particulièrement sur le mythe ( mais est-ce réellement un mythe ? nous sommes là pour en décider ), du Réseau d'Urbicande. A vous, professeur Bourbaki .

Bourbaki : Vous connaissez maintenant tous l'histoire de ce cube mystérieux dont vous a parlé cet homme, ce Robick ou ce pseudo-Robick. Devant l'extraordinaire précision de ses affirmations, j'ai été chargée par la Commission des Grandes Polémiques de trouver un modèle mathématique le plus proche possible du modèle physique permettant de décrire l'expansion de ce Réseau. Je devais aussi en donner une traduction algébrique afin de quantifier son expansion et d'en établir un modèle prédictif .

Procurateur : Un modèle quoi ?

Bourbaki : Prédictif …

Assesseur : Prédictif, qui permet de prévoir l'évolution à long terme d'un phénomène …

Bourbaki : Dès l'Antiquité, l'homme a su distinguer les différents solides réguliers. Les voici ; on les appelle les 5 solides de Platon ( projection des 5 solides de Platon ) : le tétraèdre, le cube, l'octaèdre, le …

Procurateur : Bon, bon, d'accord. Quel rapport avec ce qui nous préoccupe ?

Bourbaki : Le rapport, Mme le Procurateur, c'est qu'à partir de là, l'humanité a compris de plus en plus profondément que l'univers est construit de manière mathématique, que tout ce qui existe, les objets, les plantes, les animaux, tout peut être figuré selon ces figures géométriques. Regardez cette petite qui joue là-bas : que fabrique-t-elle? Des tétraèdres, des cubes, des …

Procurateur : Cela ne prouve rien !

Bourbaki : Néanmoins, on peut constater une continuité entre Platon et notre époque. En outre, non seulement il a démontré que l'univers était construit sur le modèle de ces figures géométriques mais en plus, il a parlé d'un continent mystérieux, qui aurait été englouti dans les âges lointains , la légendaire Atlantide. Or le grand archéologue Schliemann, le découvreur de la fabuleuse cité de Troie, Schliemann affirme que cette Atalantide a bel et bien existé, et que c'est des savants atlantes que Platon tenait toute sa science. De là à imaginer que cette Atlantide était le Réseau, il n'y a qu'un petit pas facile à franchir…

Procurateur : Hypothèse pure ! Fantasmagorie ! Ce ne sont que des divagations que mille observations pourraient aisément démentir !

Bourbaki : Et pourtant ! … Mais en fait, cela m'importe peu. En tant que mathématicienne, ce qui m'intéresse, ce n'est pas de savoir si le Réseau existe ou non, mais quel serait son fonctionnement logique s'il existait .

Présidente : Et quel serait donc ce fonctionnement ?

Bourbaki : Voici comment le Réseau se developpe. Le procédé est simple. Sur le cube de base, qui possède six faces libres, une certaine force intérieure fait croître ses arêtes jusqu'à constituer six nouveaux cubes. Cela fait donc sept cubes, qui développent eux-mêmes sur leurs faces libres de nouveaux cubes, et ainsi de suite … A la deuxième génération, on obtient 25 cubes; à la troisième, 63 …

Procurateur : Et ça recommence comme tout à l'heure …

Présidente : Mme le Procurateur, un peu de respect pour votre collègue, je vous prie…

Bourbaki : En extrapolant à partir de là, j'ai réussi assez facilement à établir la formule générale de cette expansion ( projection de la formule sur l'écran ) : Un représente le nombre de cubes du Réseau à la n-ième génération. Vous observerez que nous ne sommes pas loin de la formule que le supposé Robick a formulée tantôt.

Présidente : Et vous avez donc pu en établir un modèle euh … pré … euh …comment disiez-vous ?

Bourbaki : Prédictif …

Présidente : C'est cela même.

Bourbaki : Oui, effectivement, j'ai pu le faire grâce au calculateur parlant que j'ai fait amener jusqu'à cette assemblée. Si vous le permettez, je vais l'interroger. Il est un peu susceptible et je dois le traiter avec déférence.

Tableau 2 : Michèle Ardant

Michèle Ardant est une femme énergique, avec de la présence et du cran. Elle a une assez haute idée d'elle-même : c'est elle qui a imposé la photographie et d'autres découvertes assez incroyables. Elle porte des santiags ou des chaussures de montagne, un jeans, une veste et un T-shirt unicolore. Elle apparaît du même côté que le procurateur. La scène commence lorsque le matheux a fini ce qu'il avait à dire. On entend des éclats de voix; on empêche M. A. de passer.

Michèle Ardant : Laissez-moi passer ! Je veux témoigner, je veux leur dire ; il faut que le peuple sache ! (elle apparaît sur scène ) Laissez-moi ! Le peuple a le droit de savoir. ( 2 gardes imposants essaient de l'empêcher de passer , en vain )

Procurateur (il a reconnu Michèle Ardant; il est surpris et s'affole un peu; il crie) : Michèle Ardant, sortez immédiatement. vous n'avez rien à faire ici. Vous n'avez pas été invitée.

( il se lève comme pour aider les gardes . L'assesseur est tiraillé entre l'envie d'intervenir et celle de ne pas se trahir : il se lèvera comme pour regarder la scène attentivement mais ne dira rien . Michèle Ardant arrive enfin à se débarrasser des gardes en les poussant vers le milieu de la scène. Elle se tourne vers la Présidente )

Michèle Ardant : Je veux témoigner.

Présidente ( après avoir réfléchi 3-4 secondes ) : Vous avez raison. Votre témoignage peut être utile. Prenez place à la barre.

( Il fait signe aux gardes de partir. Ceux-ci se lèvent. L'assesseur se rassoit, soulagé et content. Le procurateur se rassoit aussi, une main sur le visage: il a encore perdu une bataille, il sent la défaite venir )

Présidente : Présentez-vous, Mlle Ardant, bien que la plupart des gens doivent déjà vous connaître.

Michèle Ardant : Voilà: je m'appelle Michèle Ardant. Je suis aventurière. J'ai parcouru toutes les terres et mers du globe. (avec un peu de fierté dans la voix) Je suis même allée sous la terre. Ainsi, s'il y a des phénomènes paranormaux sur cette terre, je suis bien placée pour le savoir. Et il y en a.

( pendant ce temps, la présidente écoute avec attention, l'assesseur sourit; le procurateur blêmit . Michèle Ardant continue )

Je suis en effet en mesure d'affirmer que le Réseau existe …

Procurateur ( bondit ; on sent qu'il joue ses dernières cartes ) : Non, ne l'écoutez pas ! Elle a été payée par les Témoins …

Présidente ( frappant avec son marteau ) : Taisez-vous, Mme le Procurateur, ou je vous fais sortir de la salle !

Michèle Ardant : Avant de commencer, je voudrais dire que Mme le Procurateur elle-même m'a fait envoyer à l'autre bout de la terre. Assurément pour que je ne puisse pas témoigner ici.

Présidente : Tiens, tiens !

( le Procurateur semble de plus en plus mal à l'aise )

Michèle Ardant : Voilà, j'ai apporté quelques photos ( elle peut tendre des photos à qqu'un mais ce n'est pas nécessaire) Mais voyez déjà la carte ( l'assesseur projette un planisphère représentant notre terre et comportant plusieurs points marqués , dont Paris ). Chaque point représente une des places où le Réseau est apparu ou a fait parler de lui. Commençons par Paris ( elle montre le point correspondant à Paris ). Là, c'est certain , le Réseau est présent. Il a percé là, près du Louvre ( photo de la pyramide du Louvre ); il y est même entré ( photo de la pyramide inversée ). Il a englobé un bâtiment entier ( photo du Centre Georges Pompidou ). Et les efforts répétés pour l'enlever n'ont fait que le déformer un peu. Et surtout, c'est là qu'habitait l'un de ses plus grands disciples, M. Jean Eiffel, qui a fait construire cette magnifique tour en hommage au Réseau ( photo de la Tour Eiffel )

Procurateur ( suffoquant ) : C'est … c'est absurde!

Présidente : Mme le Procurateur, veuillez vous taire. Dernier avertissement !

Michèle Ardant : Qu'y a-t-il encore ? Ah! oui, cet homme ! Un peintre : Augustin Deshombres ou Deschombres, je ne sais plus. ( photo de Desombres peut-être ) En France encore, dans l'Aveyron. Un vieux fou, l'appelait-on là-bas. Toujours est-il qu'il savait des choses sur l'autre monde, que l'on a découvertes après !

Procurateur ( maugréant ) : Un illuminé, oui ! …

Michèle Ardant : Peut-être, mais quand même, il faut en tenir compte. Cette photo a été prise dans le Triangle des Bermudes, par tempête. ( photo Archiviste n 4 ) C'est moi-même qui l'ai prise : troublant, non ? Ah ! ça, c'est les photos de la Forêt d'Emeraude amazonienne ( photos de St-Philippe + Echos des Cités p. 43 + entrée de L'Echo des Cités p. 28 en mélangeant photo et dessin ) Si vous regardez bien par ici, le petit chapeau là, c'est moi. Mais observez plutôt ces arbres, cette structure étonnante ( photos d'arbres entremêlés se terminant sur la structure métallique enveloppée de racines ) . Ces arbres ne sont-ils pas créés par le Réseau?Et même leurs racines, les racines d'un arbre ne sont-elles pas sa base ? C'est de là qu'il naît et grâce à quoi il trouve sa nourriture ?Et voyez, cette nourriture, il la trouve au beau milieu du Réseau. Tenez, cette autre photo maritime, en Mer de Chine cette fois ( Archiviste, pièce n 12 ), c'est le Réseau qui émerge de la mer. Et au Tibet, cet air que les grands sages répètent tout le temps: ça ne vous dit rien ? ( air chanté et enregistré à partir de la musique de Philippe Hoareau ). Mais oui, mais oui, c'est bel et bien le Réseau; le Réseau est partout, il est à la base de tout. Il est même dans la fondation de chacune de nos bâtisses (photos des structures métalliques ). Ainsi chacun de nous vit au milieu du Réseau, enfermé dans ses échafaudages ( s'animant de plus en plus : ) Et même ici : regardez, regardez autour de nous! ( principe : prendre des photos du bâtiment où se trouvent les spectateurs en mettant en valeur les structures métalliques, les éléments pouvant rappeler le Réseau ).

1er cas : Stella Matutina . - ( l'assesseur projette diverses diapos de Stella Mat. ) Observez ce lieu autour de vous. Attachez-vous de l'importance à cette construction ? Non ! Cependant Stella Matutina est bien elle aussi l'oeuvre du Réseau ! Dans sa composition, ses décors, ses constructions, oui ! D'après vous, d'où proviennent ces structures métalliques? Mais oui, bel et bien du Réseau !

2ème cas : Lycée Antoine Roussin . - ( projection de diapos du lycée ) Aussi juste pour accéder jusqu'ici, nous avons traversé le Réseau. Observez cette passerelle, cette barrière : même ici, dans cette place . D'après vous, d'où proviennent ces structures cubiques , et ces structures métalliques? Mais oui, mais oui, bien entendu du Réseau. Voyez, le Réseau est partout, partout. Nous vivons dans un monde de réseaux. Nos habitations et chacune de nos pièces sont faites à partir du Réseau. Car oui, le Réseau existe, il existe … Il est partout, partout …

Procurateur : C'est complètement absurde !

Michèle Ardant : Quant à vous, Madame le soi-disant procurateur, taisez-vous ! Car vous savez tout comme moi que le Réseau existe. Oui, il existe. Et ces photos le prouvent ! Encore là-bas dans …

Présidente : Oui, oui. Voilà qui suffit, Mlle Ardant. Votre témoignage fut assez révélateur . Je vous remercie ( pour votre précieuse collaboration ).

Michèle Ardant ( s'en va , puis revient et crie ) Et n'oubliez pas, le Réseau existe ( puis elle lance au Procurateur ) : Vous, menteuse ! … ( elle s'en va en narguant les deux gardes )

Tableau 3 : La Chorégraphologue

( M. Ardant vient de partir ; quelqu'un se lève parmi le public et se dirige vers la scène )

Chorégraphologue ( avec un accent étranger, un peu chantant ) : Permettez, Mme la Présidente, puis-je ajouter quelque chose à ce que vient de dire Mlle Ardant ?

Présidente : Je regrette, mais vous passerez à votre tour .

Chorégraphologue : Mais , c'est que c'est en rapport avec ce que Mlle Ardant vient de dire …

Procurateur : Madame, on vous a dit …

Assesseur : Mme la Présidente, nous avons l'honneur d'avoir devant nous Mme Sirimavo Senanayaké ( Oh ! admiratif dans la salle )… Sa réputation de chorégraphologue s'étend jusqu'à la constellation d'Andromède …

Présidente ( confuse ) : Madame, veuillez m'excuser; je ne savais pas … Si vous voulez bien prendre place. Nous vous écoutons .

Chorégraphologue : Mme la Présidente, Mlle Ardant vient de nous dire que les figures du Réseau se trouvent partout, même autour de nous, indubitablement. Je viens vous en donner une preuve supplémentaire. Vous avez tous regardé et apprécié le ballet qui nous a été offert pour marquer solennellement l'ouverture de ce symposium ?

Présidente : Oui …

Chorégraphologue : Vous savez que la chorégraphologie consiste à lire dans toute figure dansée, que ce soit la parade amoureuse des animaux ou les ballets imaginés par l'homme, leur signification secrète, accessible aux seuls initiés ?

Présidente : Je ne m'en souvenais plus très bien, mais maintenant que vous le dites …

Chorégraphologue : Qui a organisé ce ballet ? Qui a choisi cette troupe ?

Présidente : Monsieur l'assesseur ?

Assesseur : Cette troupe a été sélectionnée par un jury que je présidais. Il nous a semblé qu'il était le plus esthétique et le plus approprié à l'événement .

Chorégraphologue : Eh bien, je suis en mesure d'affirmer que ces danseurs sont inspirés du Réseau ! Indubitablement !

Présidente & Procurateur ( en même temps ) : Comment cela ?

( La chorégr. passe quelques diapos à l'assesseur qui va les projeter )

Chorégraphologue : Regardez. J'ai pris quelques photos de leurs évolutions tout à l'heure. Voici l'une des figures présentées : vous reconnaissez là un carré, indubitablement. En voici une autre, cette fois le dessin formé est un losange …

Procurateur ( railleur ) : Indubitablement !

Chorégraphologue ( après avoir souri d'un air énigmatique au procurateur ) : Et celle-là. Elle est un peu plus complexe. Mais si vous l'examinez plus attentivement, vous constaterez qu'elle forme indu … ( en regardant le proc. ) …bitablement un carré à deux composantes homogènes. ( le proc. montre avec les doigts le nombre de fois qu'elle a dit “indubitablement” et le fera chaque fois qu'elle le redira ) Et enfin celle-ci, la pyramide dans le cercle, qui signifie clairement en langage chorégraphique : les mailles cachées, ou le réseau caché .

Procurateur : Cela ne prouve rien. Il faut bien que ces danseurs prennent des postures. En traçant d'autres lignes à partir des mêmes positions, on pourrait obtenir des formes tout à fait différentes.

Chorégraphologue : Non, Mme le Procurateur. Une figure chorégraphique doit être tracée selon un système rituel complexe, que je n'ai pas le temps de vous exposer ici. Seule la façon dont j'ai tracé les lignes de convergence est appropriée, indubitablement.

Présidente : Et de tout ce que vous nous avez révélé, que concluez-vous ?

Chorégraphologue : Que toutes ces figures ne peuvent pas être le fait du hasard. Elles participent d'une seule et même volonté : une volonté in…déniablement géométrique, je dirais même cubique , résolument axée sur les formes du Réseau… indubitablement. ( Le proc. fait un geste d'impatience ) Et cette musique qui l'accompagnait, avez-vous bien écouté cette musique ?

Présidente : Ma foi, non. Je m'y connais très peu.

Chorégraphologue : J'aimerais bien, si vous le permettez, Mme la Présidente, entendre les explications de l'auteur qui l'a composée.

Présidente : Mais nous sommes à vos ordres, madame, indubitablement. M. l'assesseur, veuillez appeler à la barre le chef de la partie musicale des réjouissances. ( L'assesseur le fait venir ) Maître, pouvez-vous nous expliquer , en termes très simples, si l'air que vous nous avez fait entendre tout à l'heure a un rapport quelconque avec le Réseau .

Tableau 4 : Le Musicien

( Le musicien est un personnage un peu farfelu, genre doux dingue )

Musicien : Vous m'avez demandé de venir pour savoir si le Réseau existe dans la musique. Mais il est partout ! C'est l'âme de la musique et je vais tenter de vous le démontrer très brièvement.

La grande erreur de l'homme est de croire qu'il peut atteindre l'unité. Mais il n'y a pas d'unité !

Regardez le symbole qui est là ( l'assesseur projette la structure binaire ) : c'est une articulation entre la Terre et le Ciel, sur une ligne ; c'est un rythme binaire ( il le fredonne ). C'est le feu de la création.

Voici un autre symbole ( projection de la structure ternaire ) : c'est une articulation ternaire qui s'enroule dans le plan et qui tourbillonne comme le triolet … mais attention ! cette articulation est aussi vivante , aussi dévorante qu'une trombe d'eau.

Voici encore un symbole ( projection de la structure quaternaire - tétraèdre) : artculation quaternaire se déroulant dans l'espace en dessinant une espèce de huit. Ce symbole est plus mystérieux qu'un pendule : c'est l'air du temps ! Un étrange quatre qui n'est pas égal à deux plus deux !

Et voici le dernier symbole, irreprésentable car dans l'espace-temps ( projection des 5 cercles ) : c'est l'expansion de la vie, le terroir de la conscience !

Voilà, ce fut bref. ces quatre éléments, que j'appellerai le deux, le trois, le quatre et le cinq ne sont pas des nombres ordinaires. Deux n'est pas égal à un plus un, trois à un plus un plus un, etc. Non ! Deux est un tout, comme trois, quatre et cinq. Et ils voguent chacun solitairement dans des mondes qui nous sont hors de portée !

Notre monde n'est qu'une illusion tissée par ces quatre vérités. Notre monde est un réseau, c'est le Réseau ! Invisible comme la musique mais aussi présent qu'elle .

Vous voyez : c'est simple ! c'est évident !

( Il sort sous le regard médusé de la Présidente et du Procurateur )

  • La figure binaire
  • La figure ternaire
  • La figure quaternaire
  • La figure espace-temps ( quinaire ? )

Acte III

Tableau 1 : L'Historienne

Présidente : Après ces vues très instructives sur des domaines fondamentaux, il est bon que nous examinions le parcours qui a mené notre monde à son état actuel. Aussi ai-je fait appel à un historien, ou plus exactement une historienne, dont la valeur n'est plus à démontrer tant ses titres de gloire sont nombreux. Assesseur veuillez faire avancer Mme Georgette Soboul. ( L'assesseur s'exécute. L'historienne s'avance : c'est une passionnée, impétueuse, extravertie, exubérante - d'un petit rien elle fait une montagne - très méticuleuse, bavarde et parfois un peu susceptible )

Présidente : Après la présentation que j'ai faite de votre personne et qui n'a pas été mise en doute, même par Mme le Procurateur, je pense que vous pouvez nous faire part immédiatement de vos théories sur la question qui nous occupe. Je vous en prie …

Historienne: L'Amérique ! La plus grande nation du monde ! Comme vous le savez, elle est formée d'états fédérés constituant une masse de 7 800 000 km2 , soit les deux tiers de l'Europe, sans compter l'Alaska, ainsi que les îles Hawaï, situées dans l'Océan Pacifique …

Procurateur : Bon, bon ! si cela ne vous dérange pas , venons- en à l'essentiel .

Historienne ( imperturbable ) : … reliée au monde entier … ( au procurateur ) Vous voyez, nous y étions presque, à l'essentiel … Reliée au monde entier, l'Amérique …

Procurateur ( agressif ) : Mais ne tournez donc pas autour du pot. L'es-sen-tiel !

Historienne : Ah ! Où en étais-je ? Vous m'avez embrouillée avec votre impatience …Ah! oui, voilà . L'Amérique est constituée de réseaux, et ces réseaux se sont étendus au monde entier … Qui dit finances internationales dit Wall Street et dollar; et le dollar, c'est l'Amérique ! Qui dit cinéma dit Hollywood, en Californie, Amérique ! Qui dit mode vestimentaire , indémodable, dit le jean's américain . Qui dit boisson universelle dit Coca- Cola : Atlanta aux Etats-Unis ! Et le Réseau Internet, d'où est-il parti? Je vous le demande …

Quelqu'un dans la salle : D'Amérique .

Historienne : Bravo, monsieur ( ou madame ou mademoiselle ) !

Procurateur : Soit ! venez-en au fait !

Historienne ( impatientée ) : Très bien ! On a annoncé le dépérissement de la puissance américaine et on s'est bien trompé ! L'Amérique est de retour ! L'Amérique des grands pionniers, savants, inaugurant chaque jour de nouveaux réseaux à travers le monde …

Procurateur : Mais vous êtes vraiment obsédée par les réseaux !

Historienne : Oui, par les réseaux ! Et savez-vous de quand date la suprématie américaine? De la période marquée par l'action du général Grant : c'est lui qui remporta la bataille décisive de Richmond lors de la Guerre de Sécession. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que cette guerre opposa les états sudistes, esclavagistes et les états nordistes, abolitionnistes.

Procurateur : Et en quoi cela est-il si intéressant , madame la spécialiste ?

Historienne : En ce que cette guerre contribua à libérer la communauté noire d'Amérique , lui permettant d'accéder à la gloire, avec des vedettes mondiales comme James Brown, le promoteur du réseau Jazz ( Rythm'n blues ); les Jackson Five qui aboutirent au réseau Michaël Jackson, dont les disques se vendent comme des petits pains … ( elle fredonne un air de M. Jackson … )

Présidente : Allons ! un peu de sérieux, je vous prie . Vous vous oubliez et vous oubliez notre sujet ..

Historienne : Pas du tout, Mme la Présidente . Eux aussi ont couvert la surface de la Terre de leur réseau particulier, à partir du Réseau initial dont je vous ai entretenue .

Procurateur : Ainsi, vous prétendriez que ce soi-disant Réseau existe et qu'il relie notre monde connu avec un autre monde inconnu ?

Historienne : Non, pas tout à fait. J'ai effectivement affirmé que ce Réseau initial existe mais je n'ai jamais dit qu'il reliait deux mondes ! D'ailleurs, c'est vraiment bizarre …

Procurateur : Qu'est-ce-qui est bizarre ?

Historienne ( regardant le Procurateur d'un oeil soupçonneux ) : Oui, très bizarre; je dirais même suspect !

Procurateur : Mais enfin! dites-nous ce qui est bizarre ou suspect comme vous dites. Pourquoi cet air mystérieux ?

Historienne : Comment avez-vous pu deviner que ce Réseau pouvait relier ce monde-ci à un autre ?

Procurateur ( très gêné ) : Euh ! je ne sais pas, moi. J'ai dit ça comme ça; quelqu'un doit l'avoir dit à un moment ou à un autre; ou bien je l'ai lu quelque part. Voilà, c'est ça: je l'ai certainement lu quelque part .

Historienne : Ah ! Peut-être. Néanmoins, je continue à trouver cela bizarre …

Procurateur : Bon, bon ! Cessez de répéter toujours la même chose. N'avez-vous rien d'autre à nous dire ?

Historienne : Ma foi, non. J'ai dit l'essentiel. A moins que vous désiriez que je vous chante un air de James Brown ( elle commence à fredonner une chanson de James Brown ex. Sex machine )

Présidente : Non, non , merci. Cela ira comme ça. Nous vous remercions d'avoir éclairé le débat de vos précieuses connaissances et nous vous permettons de vous retirer …

Tableau 2 : La Biographe

Procurateur : Madame la Présidente,chers confrères, il est incontestable que notre civilisation s'est enrichie au cours des siècles de réseaux divers , riches, puissants, dans tous les domaines ainsi que l'a exposé mon éminent(e) confrère ( consoeur )( sourire satisfait de l'historienne, murmures de satisfaction dans la foule ) … Mais en fait, que nous a-t-elle appris de neuf ? ( air indigné de l'historienne, murmures de déception dans la foule ) … Nous savons tous comment fonctionne notre communauté : elle est structurée parce que c'est nous-mêmes qui l'avons organisée. Mais ce que nous rejetons avec force, c'est cette manie de baptiser tout cela Réseau. Aménagement d'un quartier : Réseau ! Conception d'un bâtiment : Réseau ! Chorégraphie d'un ballet : Réseau ! Communication, économie, pouvoir, Réseau, Réseau, Réseau ! Assez! Pourquoi devrions-nous voir dans tout ce que nous avons nous-mêmes construit une espèce de puissance supérieure, inaccessible, fantômatique, qui dirigerait tout cela, comme ce Dieu dont les anciennes religions nous rebattaient les oreilles , alors que l'explication, c'est nous , nous qui avons imaginé et bâti tout cela ? Tout cela est-il si extraordinaire qu'il faille l'expliquer par des pseudo-miracles, par de fumeuses manifestations de l'au-delà ?

Présidente : Et si justement l'on vous prouvait que le Général Grant en provient , de l'au-delà ?

Procurateur : Je vous demande pardon … Madame la Présidente, avec tout le respect que je vous dois, vous n'allez tout de même pas ajouter foi à ces ( superstitions )

Présidente : Madame le Procurateur, je vous invite à écouter attentivement le témoignage qui va suivre . Monsieur l'Assesseur, veuillez faire venir à la barre le témoin suivant.

( l'assesseur va chercher la biographe qui se présente à la barre des témoins après lui avoir donné un certain nombre de documents )

( La biographe : très professeur ancien style, apparence vieille fille, timide, complexée, sauf quand elle parle de son domaine, où elle se sent à l'aise et très sûre d'elle )

Présidente : Madame, veuillez vous présenter …

Biographe : Je m'appelle Célestine Pécuchet … Je suis professeur d'Histoire à l'Université du Massachussets de Harvard…

( sifflement d'admiration ironique du Procurateur )

… plus particulièrement spécialisée dans la biographie du général Grant …

Procurateur : Bien sûr, tout le monde peut se prétendre spécialiste de ceci, spécialiste de cela …

Assesseur ( se lève et lit un document ou un livre , espèce de Who's who des personnalités scientifiques ) : “ La participation de Grant à la guerre du Mexique ”, “ La contribution du général Grant à la victoire nordiste”, “Les Etats-Unis sous la présidence d'Ulysses Grant ”, couronné meilleur document historique de la décennie par l'Institut Royal d'Histoire Contemporaine de Stockholm …

Présidente : Cela vous suffit-il, madame le Procurateur ?

Procurateur ( geste évasif de la main et se rassoit ) :…………………………… !

Présidente : Madame,veuillez continuer .

Biographe : Il y a un mystère dans la vie du général Grant que je n'ai jamais réussi à élucider complètement durant toute ma carrière universitaire …

Procurateur (perfide) : C'est-à-dire ? Combien d'années , votre carrière universitaire ?

Biographe : Vingt-deux ans et quelques mois … Ce mystère concerne les années civiles de Grant. Pourquoi, alors qu'il venait de mener victorieusement la Campagne du Mexique, alors qu'une carrière glorieuse s'ouvrait à lui dans l'Armée, démissionne-t-il brusquement et retourne-t-il dans le Civil ?

Procurateur ( ironique ) : A cause du Réseau, je présume …

Biographe : Peut-être. Tout ce je puis vous dire, c'est qu'il y a quelques mois, les conservateurs du Musée Grant à Sarratoga m'ont contactée pour me faire part d'une découverte qui ne laissait pas de les embarrasser. Ils ne savaient pas trop quoi en faire et me demandaient conseil …

Présidente : Et quelle était cette découverte ?

Biographe : Deux gros cahiers de Mémoires du Général Grant , détenus par la famille depuis sa mort, et qu'ils ne voulaient pas publier pour ne pas porter préjudice à sa réputation …

Procurateur : Comment cela ?

Biographe : Il leur semblait que le général était devenu fou et alignait dans ces cahiers des choses complètement délirantes, ce que mon collègue psychanalyste appellerait une mythomanie maniaco-dépressive…

Présidente : Est-on sûr de leur authenticité ?

Biographe : Absolument. Tous les graphologues consultés ont confirmé que c'est bien son écriture. En outre, la datation au cardamone 918 fait remonter la fabrication de ces cahiers à l'année 1881.

Assesseur : Je connais cette nouvelle méthode de datation. Elle est fiable à 100 % .

Présidente ( après avoir jeté un coup d'oeil surpris à l'assesseur ) : Continuez …

Biographe : Voici ce qu'on peut lire dès les premières lignes de ce cahier : “ Toujours ces images qui me poursuivent. Cette Tour obscure dont j'ai l'impression d'être né? Ce passage dans le monde en couleur, ces tableaux, oh! ces tableaux, sont-ils des rêves ou les ai-je réellement vus ?

Procurateur : Propos hystérico-régressifs. Fantasme de la vie intra-utérine et traumatisme péri-natal…

Biographe ( continue imperturbable ) : Horatio, Elias, et toi l'inoubliée, avez-vous existé ou n'avez-vous été qu'une illusion de plus dans ma mémoire en feu ? Miléna, Miléna, où as-tu disparu ? Pourquoi m'as-tu laissé dans ce monde inconnu, dans ce monde étranger que je connais si peu … , je répète : que je connais si peu …

Procurateur : C'est une façon de parler. N'avez -vous pas remarqué que ce sont des alexandrins. Notre général est devenu poète avec l'âge. Si toutes les inventions des poètes devaient être prises pour argent comptant …

Biographe : Attendez. Ce n'est pas tout. Ecoutez ce qu'il dit un peu plus loin : ” Es-tu donc repartie là-bas ? Vers Urbicande ou Armilia ? Vers ta maison d'azur, ton palais, ton joyau Ton trône triomphant des Brumes du Réseau ? Des brumes du Réseau, j'ai bien dit. Et ces hommes du futur qui vont parler de nous: la foi des uns , l'incrédulité des autres , devant ce monde que nous sommes venus annoncer …

Procurateur ( se lève, visiblement agité ) : Hasard, effet de style, pure coïncidence … On ne peut de cela déduire l'existence …. de ….

Assesseur : Mme le procurateur fait des alexandrins aussi. Veuillez garder votre sang-froid .

Présidente : Hum! Cette Miléna, en trouve-t-on trace dans la partie connue de l'existence de Grant ?

Biographe : Oui et non . On fait mention au début de la Guerre Civile d'une jeune ordonnance à ses côtés, qui le suivait partout et avec laquelle il s'enfermait pendant des heures sous sa tente. Des rumeurs prétendaient que c'était sa maîtresse déguisée en soldat… Elle semble se manifester à nouveau six ans plus tard lors de la campagne présidentielle qui fera élire Grant en 1868. Mais elle disparaît dès son élection et ne reparaîtra plus par la suite.

Présidente : Est-on sûr que ce soit elle ?

Biographe : Non, madame la Présidente. Ce ne sont que des suppositions. Ce qui est sûr, c'est qu'aucune Miléna n'a figuré parmi ses proches officiels …

Procurateur : Alors, sur ces vagues suppositions, sur ces hypothèses hasardeuses, nous allons fonder l'existence du Réseau …

Biographe : Non, Mme le procurateur. Bien des passages de ces documents s'éclairent si l'on tient compte des découvertes récentes sur le Réseau.

Procurateur : Mais le Réseau n'existe pas; son existence est justement à démontrer. Et cela n'est pas encore fait que je sache .

Biographe : Si le Réseau n'existe pas, alors le général Grant fut véritablement fou à la fin de sa vie. Mais s'il existe, tous les passages que je viens de lire et bien d'autres encore prennent un sens …

Présidente : Par exemple …

Biographe : Ecoutez ceci : “ Cette Tour - il raconte à plusieurs reprises qu'il a descendu ou plutôt traversé du haut en bas une tour pour parvenir jusqu'à ce “monde en couleur” , comme il l'appelle - cette Tour a une forme étrange. Elias - c'est un savant qui, selon lui , l'a hébergé pendant cette traversée - Elias me l'a montrée sur ce qu'il appelle un “tableau”. Je vais essayer de le reproduire, mais ma mémoire me fait un peu défaut …

( l'assesseur projette la diapo. de la Tour . Murmure de surprise dans l'assistance)

Oui vous reconnaissez là la Tour de Babel telle que l'ont représentée Pieter Brueghel , les Anciens, et même Escher …

Assesseur : ” Ils dirent : Allons! Bâtissons une ville et une Tour dont le sommet touche le ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la Terre… “

Biographe : Autre chose encore: pendant sa traversée de la Tour, Grant qui, dans ce monde-là déclare se nommer Giovanni, a croisé plusieurs de ces tableaux dont Elias lui avait présenté un specimen. Notamment à cause de leurs couleurs, ils lui avaient paru bizarres, insolites, incompréhensibles.

Présidente : Et que seraient ces tableaux en réalité ?

Biographe : Les messages qui transitaient d'un univers à l'autre, les résultats concrets de la communication entre nos deux mondes.

Procurateur (avec un geste d'impatience ) : Qu'est-ce-à dire ?

Biographe : Mme la Présidente, pour parler de ces tableaux, je me suis permis de faire appel à une véritable sommité en ce domaine, Mme Blanche de Castelmoulins.

Présidente : Assesseur, faites entrer cette personne et raccompagnez Mme Pécuchet, que je remercie , au nom de cette assemblée, pour les précieuses informations qu'elle nous a fournis sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Tableau 3 : La Critique d'art

Entre la Critique d'art : femme un peu évaporée, très égocentrique, genre Castafiore pédante .

Présidente : Madame, veuillez vous présenter .

Critique d'art : Blanche Isabeau de Castelmoulins de Carmezac, propriétaire de la Hornwell Gallery de Chicago, Critique d'art au Daily News, titulaire du Masters of Art Study de L'art Study Institute de Londres, major de la promotion 85 …

Présidente : Madame de Castelmoulins, on a prétendu devant nous à l'instant que certains tableaux représenteraient des moyens de communication entre notre monde et un monde hypothétique appelé Réseau. Qu'avez-vous à nous dire à ce sujet ?

Critique d'art : Madame la Présidente, je vous prie de regarder attentivement ce que monsieur l'Assesseur va nous projeter, si c'est un effet de sa bonté… ( pendant que l'assesseur projette les tableaux qu'elle va citer ) … Voici quelques tableaux des grands maîtres de la peinture moderne : Mondrian, Escher, Kandinsky, Vasarely… … Et voici des tableaux plus anciens : La Vierge au Rocher de Léonard de Vinci; La Liberté Guidant le Peuple d'Eugène Delacroix ( et Le Radeau de la Méduse de Géricault ). Quel point commun voyez-vous entre ces deux séries de tableaux ?

Présidente : … ?? Aucun …

Critique d'art : Madame le Procurateur ?

Procurateur : … ?? Je vois surtout des différences …

Critique d'art : Le point commun , c'est la géométrie . ( ricanement du Procurateur )

Présidente : Mais les tableaux de la deuxième série n'ont rien de géométrique !

Critique d'art : C'est ce qui vous trompe , ma chère. Regardez leur découpage dans la toile … ( l'assesseur projette les mêmes tableaux avec le découpage en triangle )

Présidente : Oui, je vois …

Critique d'art : C'est bien ce que je disais. Le point commun, c'est la géométrie. (sentencieuse : ) Je prétends que l'histoire de la peinture a été une longue et patiente recherche de l'essence picturale, et cette essence, elle est gé-o-mé-trique ! N'en déplaise aux ignorants !

Procurateur : Vous “prétendez” cela ! Mais quelle preuve en avez-vous ?

Critique d'art : La preuve est dans Cézanne, le grand Cézanne .C'est grâce à lui que la peinture a fait le gigantesque bond en avant d'une série à l'autre . Ecoutez ce qu'il écrivait à Emile Bernard dans une lettre fameuse : ” Il ne faut pas s'arrêter à l'apparence impresionniste des choses. Il faut chercher derrière elle leur structure, leur forme géométrique - je dis bien géométrique - . Il faut traiter la nature sous forme du cylindre, de la sphère, du cône “. Voyez d'ailleurs une oeuvre du maître et celles de ses principaux disciples, Bracque et Picasso . ( l'assesseur projette les oeuvres citées ) Voyez comment ils sont passés du figuratif au géométrique ! C'est prodigieux ! C'est émouvant ! (elle pourra sortir un mouchoir et essuyer un furtive larme )

Procurateur : Mais dans votre si fameuse lettre, il ne parle pas de cube ni de réseau …

Critique d'art : Cela est on ne peut plus exact, ma chère. Mais plantez un cube en terre de façon à faire apparaître un sommet : sur une surface plane , il donne l'illusion d'un triangle. D'autre part, quelle école picturale est née de l'intuition géniale de Cézanne ? Le cônisme ? Le sphérisme ? Le cylindrisme ? Non ! bien sûr . C'est le cubisme. Et le cube, c'est l'élément primordial, c'est la seule et unique vérité de la peinture …

Procurateur : Je conteste vivement ces allégations ! La peinture est un domaine d'imagination, de création et de remise en cause perpétuelles : il ne peut pas y avoir une seule vérité, stable et définitive, en peinture comme il y en a dans les sciences ! Ces cubes ne sont qu'une forme de représentation comme une autre, ni plus ni moins vraie, ni plus ni moins essentielle !

Critique d'art : Et pourtant , madame le Procurateur, il m'a été donné de voir la peinture à l'état pur, la peinture dans son geste le plus primitif et le plus originel, sans calcul, sans cogitation, rien que de spontané, dans toute la pureté du premier élan artistique . Voulez-vous partager ce privilège avec moi ? Regardez … ( Signe à l'assesseur qui projette les tableaux des handicapés ) Ces gravures sont l'oeuvre de jeunes handicapés qui n'ont jamais reçu aucune formation plastique, qui n'ont jamais subi les déformations, le conditionnement, la corruption de notre société, bref, des esprits vierges, des esprits purs, proches de l'innocence originelle. Et voyez ce qu'ils dessinent : des formes géométriques, des formes du Réseau …

Présidente : Et qu'en concluez-vous ?

Critique d'art : J'en conclus, chère Présidente, que ce que nos plus grands artistes ont cherché pendant des millénaires, cette quintessence de l'Art qui fut leur obsession depuis l'aube des temps, nous l'avions là, sous nos yeux, dès le début, dans le geste primordial de ces enfants de la Nature, qui n'ont jamais perdu, eux, le contact avec le Réseau ….

Procurateur : Tout cela n'est qu'hypothèse une fois de plus, et élucubrations ! On ne peut tout de même pas tenir l'existence du Réseau pour acquise sur des indices aussi minces…

Assesseur : Mais qui sont depuis un bon moment nombreux et concordants; à tel point qu'ils forment à présent un faisceau, que dis-je, un réseau de preuves …

Critique d'art : Madame la Présidente, lorsque j'ai parlé tout à l'heure du grand Léonard, j'ai remarquévotre déception : vous vous attendiez certainement à voir plutôt son oeuvre maîtresse, la Joconde, Mona Lisa …

Présidente : C'est exact. Eh bien, que pouvez-vous nous apprendre à son sujet ?

Critique d'art ( signe à l'assesseur qui projettera successivement les portraits de la Joconde, de La Jeune Fille au Turban de Vermeer, un de Modigliani ) : Selon moi, le visage de Mona Lisa , comme celui de bien des modèles féminins qui ont jalonné l'histoire de la peinture, la Femme au Turban de Vermeer, ce portrait de Modigliani, tous ces visages sont aussi des triangles, mais des triangles à l'envers, complétant ceux de tout à l'heure , qui étaient à l'endroit. ( Pendant qu'il projette les portraits, l'assesseur remarque un signe du Procurateur à quelqu'un dans la salle; son regard suit celui du Procurateur et voit le chef des hommes de main répondant à celui-ci, puis faisant signe lui-même à ses sbires )

Biographe ( se lève brusquement du banc des témoins ) : Mais c'est extraordinaire ! Ecoutez ce que dit Grant à la p. 287 de ses Mémoires : ” Miléna, j'ai compris ! La vérité a fondu sur moi comme la foudre ! Moi qui croyais être l'Elu, l'Envoyé du Réseau? Que j'ai été bête ! L'Envoyée, l'Elue, c'était toi, toi, Miléna ! Je n'ai existé que pour t'accompagner et t'annoncer; oui, pour t'annoncer comme l'ont fait tous ces barbouilleurs avant moi et comme ils le feront encore longtemps après moi. C'est dans leurs toiles que je t'ai retrouvée, moi qui croyais t'avoir perdue à jamais, toi et tes yeux si profonds, toi et ton visage aux trois angles parfaits …

Présidente : Il me semble de plus en plus évident que toutes ces manifestations éparses prennent leur sens dès lors qu'on les rattache au Réseau …

Procurateur : Madame la Présidente, vous n'allez tout de même pas tomber dans cette mascarade … ( Pendant que le Président lui répondra, le Procurateur fait un autre signe au chef des stipendiaires qui s'approchent de la scène … suivis par un groupe non-remarqué jusque-là dans un uniforme différent … ou les danseurs … Au moment où les premiers se saisissent des témoins assis sur leur banc, les seconds les neutralisent avec un appareil genre petit émetteur d'ondes …) Présidente : Il faut pourtant se rendre à l'évidence, mon cher Procurateur. Cette prolifération de cubes dans tous les coins du globe, ces triangles à l'endroit et à l'envers qu'on voit fleurir un peu partout, sont un signe de quelque chose qui cherche à se manifester J'ai même l'impression que l'un des messages les plus insistants qu'il nous fait parvenir concerne cette femme, cette Mélina, ou Mona Lisa, qui m'a tout l'air d'être comme une incarnation de ce Réseau sur Terre . Peut-être même doit-elle apparaître incessamment … ( voyant brusquement ce qui se passe ) Mais qu'est-ce …? De quel droit … ? Comment ose-t-on … ?

Assesseur : Madame la Présidente, les hommes que vous voyez ici, à terre, sont des mercenaires à la solde de Mme le Procurateur . Elle avait prévu que les débats ne tourneraient pas en faveur de ses idées, aussi avait-elle fomenté un coup d'état , qui, par mes soins, a échoué.

Présidente : Vous, Mme le Procurateur ! à laquelle des milliers de scientifiques avaient délégué leur pouvoir ! Ce que prétend l'assesseur est-il vrai?

Procurateur : L'autorité scientifique précisément était bafouée. Son président lui-même prêt à abdiquer notre pouvoir. Il fallait sauver l'Etat .

Présidente : Mais enfin! que faites-vous de la Vérité ? Avez-vous oublié que nous avons, par le serment d'Einstein, juré de consacrer notre vie à la Vérité, et au besoin de la lui sacrifier ?

Assesseur : Oh! mais la vérité, Mme le procurateur la connaît depuis le début, depuis toujours …

Présidente : Que voulez-vous dire ? Et vous, qui êtes-vous au juste? Quel rôle jouez-vous là-dedans ? Il me semble que vous êtes un assesseur bien singulier …

Assesseur : Madame la Présidente, je suis un membre du Réseau …

( Surprise dans l'assemblée )

Présidente : Quoi ? ! !

Assesseur : Et Madame le Procurateur aussi …

( Redoublement de surprise dans la foule )

Présidente : Co… comment ? ! !

Assesseur : Regardez ( il montre son poignet où est tatouée l'image du Réseau ) ! Et regardez encore ( il se dirige vers le Procurateur, lui saisit le poignet, soulève la manche de façon à montrer le même tatouage )

Présidente : Mais alors, qu'est-ce à dire ? Que voulez-vous exactement ?

Assesseur : Madame la Présidente, mes éminents confrères, et vous, noble assemblée, il est temps de faire la lumière sur tous ces événements. Oui, le Réseau existe. Oui, il a commencé à se manifester dans ce monde par les oeuvres de l'art et de la science. Il s'est incarné en la personne du général Grant qui a donné l'impulsion pour que ce monde s'organise en Réseau …

Présidente : Pourquoi ?

Assesseur : Parce que les hommes de ce monde sont incapables de se gouverner eux-mêmes sans guerre, sans haine, sans violence … Regardez aujourd'hui, depuis cinquante ans que l'Organisation des Savants Unis existe et gouverne le Monde, la paix règne partout …

Présidente : Mais pourquoi teniez-vous tant à ce que notre monde vive en paix ? Après tout, ce n'est pas le vôtre.

Assesseur : Par dévotion au principe de l'Harmonie Universelle, ce que les anciens grimoires appelaient Dieu.

Présidente : Et pourquoi cet affrontement entre le Procurateur et vous, alors que vous prônez la paix pour les autres?

Assesseur : Mme le Procurateur s'appelle en réalité Sophie von Rathen. Dans la hiérarchie du Réseau, elle occupe le rang de Superviseur . Son souci est aussi la paix, mais ses partisans croient qu'elle ne peut durer que si le Peuple ignore les principes qui le guident. Nous , la fraction du Réseau groupée autour de son Eminence Axel von Wappendorf, nous pensons que le partage du savoir rendra le Peuple encore plus sage…

Procurateur : Tu as gagné, Giovanni. Je m'incline . Tu vas leur faire goûter au fruit de la connaissance. Puisses-tu dire vrai , puissent-ils en devenir plus raisonnables et plus heureux.

Présidente : Mais cette Miléna ?

Assesseur : Elle est l'incarnation périodique de l'Harmonie Universelle. Le Temps Cosmique a ses rythmes, un peu comme nos saisons. Mélina naît, s'épanouit, meurt et renaît selon le cycle de ce Temps Cosmique.

Présidente : Et en ce moment ?

Assesseur : Elle vient de renaître; elle est là, elle vous regarde et nous soutient en silence depuis le début . ( l'assesseur va vers l'Incarnation, l'invite à se lever,. La Présidente se lève, quitte sa place et lui propose de la prendre … discute avec elle pendant que l'assesseur s'adresse à la foule ) Oyez, braves gens, peuples de la Terre Unifiée, le Symposium décrète que le Réseau existe (manifestations d'enthousiasme dans la foule). Il est en outre stipulé que le Réseau n'est pas l'ennemi de ce monde, qu'il est au contraire le principe de paix et de prospérité universelles, but et droit de tout être vivant. En conséquence, la science du Réseau sera considérée dorénavant comme un domaine de Recherche à part entière, ouvert à tous et au service de tous, à l'instar de toutes les autres branches scientifiques du Pouvoir, maintenues dans leur dignité et dans leurs fonctions.

Allez en paix. Soyez heureux. Et que le Réseau soit avec vous.