Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

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Les xylhommes

Depuis notre dernière aventure, Henri Menta (mon ami l'espion) et moi nous nous sommes revus plusieurs fois. Nous avons eu une conversation intéressante sur divers sujets et notamment sur la fonction du livre, lui, argumentant sur la qualité de fabrication de l'objet, donnant plus d'importance à la « superficialité » du livre, moi, argumentant sur le contenu du livre, donnant de l'importance sur la profondeur du livre. Ce fût très intéressant. Nous décidâmes en fin de discussion de se revoir et de se raconter un épisode de la vie de notre monde respectif qui pourrait intéresser notre interlocuteur.

Ce que nous avons fait quelques jours plus tard. Je lui ai raconté avec force images la période des dinosaures, il était très impressionné. De son côté, il m'a raconté l'histoire d'un peuple ancestral obscure appelé les xylhommes. J'ai retranscrit ci-après cette histoire en essayant de ne rien omettre ni transformer.

C'est une peuplade qui a disparue, elle devait correspondre aux hittites dans notre monde, mais leur mode de vie était tout autre. Hommes et arbres vivaient en parfaite harmonie. Il faut dire que ces arbres étaient vraiment exceptionnels. C'est une espèce qui a également disparue. La taille d'un arbre était approximativement dix fois supérieure à celle d'un homme de même âge. L'arbre a, comme le riz, l'habitude d'avoir les racines dans l'eau et la cime au soleil. Il a , adulte, à environ deux mètres au-dessus du niveau de l'eau quatre branches horizontales qui partent aux quatres points cardinaux et qui s'interconnectent avec les branches homologues des arbres voisins. Ainsi cela forme un réseau de branches formant le village, ce qui permet aux humains de se déplacer.

La particularité principale de l'arbre est d'être sexué. Il y a des arbres mâles et des arbres femelles. L'arbre mâle a des milliers de fleurs toute l'année, alors que dans l'arbre femelle il ne pousse qu'une fleur à la fois selon un cycle d'environ vingt huit jours et elle n'est totalement épanouie que quelques heures.

La particularité de la relation homme-arbre est qu'à chaque humain qui naît est associé un arbre qui naît, vit et meurt de la même façon : quand l'homme est malade, l'arbre l'est aussi, l'arbre grandi de la même manière que l'homme (mais dix fois plus vite). La symbiose entre homme et arbre est telle qu'on reconnaît l'homme à l'arbre et inversement, ils ont les mêmes qualités et les mêmes défauts. Dès leurs naissances, on leur donne le même nom de tel sorte qu'ils ne font qu'un. L'homme doit tout au long de sa vie entretenir son arbre, lui parler, lui prodiguer attention et amour, en échange de quoi, l'arbre l'abrite et le nourrit.

L'humain adulte vit toujours en couple, l'arbre femelle est leur résidence et c'est l'arbre mâle qui fournit la nourriture (les xylhommes sont végétariens). Avec les branches excédentaires de l'arbre mâle, l'homme fabrique au fur et à mesure les ustensiles ménagers (couverts, pots, outillages…) et les meubles (table, chaises, lit, armoire).

Par le fait que l'arbre satisfait les besoins les plus essentiels de l'homme, il en résulte une organisation sociale spécifique. Il n'y a ni sans abri, ni affamé. Puisqu'il n'y a que peu de besoin à assouvir suite à l'abondance de bien, il y a peu de demande, dès lors peu d'offre. Puisqu'il y a peu d'échange économique, les notions de valeur, de prix, d'argent, de rareté, d'accumulation, de travail, de bien social, de pouvoir, de politique, de hiérarchie, de classe sociale, de conflit n'existent pratiquement pas, seul le troc et la solidarité sont de mise.

La notoriété n'est pas à celui qui possède la plus grande richesse ou le plus de pouvoir mais celui qui a l'arbre en meilleur santé.

Du fait qu'il n'est pas nécessaire de passer huit heures par jour à entretenir un arbre, les humains ont beaucoup de temps libre, donc ils en arrivent à s'ennuyer ce qui fait d'eux des philosophes ou des artistes. L'art majeur des xylhommes est l'art floral et accessoirement la poésie. Dans ce domaine, le sport national est de versifier Le Texte Sacré en tercet, quatrain ou alexandrin

La tradition est orale, on y enseigne principalement l'art d'entretenir les arbres. Cet art est contenu dans un texte appelé Le Texte Sacré. Dès l'âge de six ans l'enfant suit l'enseignement de l'art, il se fait de manière séparé pour les garçons et pour les filles, leurs arbres étant différents, l'art de les entretenir l'est aussi. Les leçons consistent principalement à l'apprentissage du Texte Sacré.

A l'âge de 12 ans l'enfant passe automatiquement à l'adolescence, une cérémonie de la passation est organisée. Lors de cette cérémonie la responsabilité de l'entretien de leur arbre passe des parents à l'adolescent.

Plus tard, Pour accéder au statut d'adulte les adolescents candidats doivent démontrer leurs capacités à bien entretenir leur arbre. Celui-ci étant déjà une preuve de leur savoir faire, mais ils doivent aussi réciter Le Texte Sacré dans son entièreté. Cet événement se fait devant la communauté des adultes. De plus ils doivent apporter à ce texte une découverte non encore exploitée dans le domaine de l'art floral. La communauté décide par la suite si il faut intégrer ou non cette découverte dans le Texte Sacré.

Si ils sont acceptés par la communauté, ils ont le droit de se marier et de quitter l'arbre matriarcal pour fonder une nouvelle famille. En général la célébration du mariage suit rapidement la cérémonie du passage à l'âge adulte. Pour pouvoir se marier, il faut également que l'arbre femelle soit apte à abriter le couple et que l'arbre mâle soit apte à le nourrir.

Par la suite le couple devra entretenir leurs arbres tenant compte du nombre d'enfant qu'ils voudront avoir, il faut que l'arbre femelle soit assez grand, et que l'arbre mâle produise suffisamment de nourriture et de biens.

Le rite de l'enfantement est très particulier car à chaque enfant qui naît, sort de terre l'arbre qui va le suivre tout au long de sa vie. Un certain mystère est associé à la naissance, on remarque que le cycle de fécondité de l'arbre femelle correspond exactement au cycle de la femme, on sait donc que la femme n'est réceptive que quand la fleur de son arbre est totalement épanouie. Quelques heures auparavant l'homme récolte le pollen des fleurs de son propre arbre dans un globe et va dans l'arbre femelle saupoudrer la fleur selon une pratique bien définie. Ensuite il s'isole avec sa femme pour faire quelques méditations. Si l'arbre femelle par la suite porte un fruit, c'est que la femme porte également un enfant . Dès cet instant la vie de l'enfant et de l'arbre sont liés. Quelques heures après le père prend le fruit et plonge dans la lagune le planter sous l'eau dans 10 centimètres de terre. C'est une opération délicate car si cette précieuse graine est mal plantée (trop profond ou pas assez), l'arbre ne poussera pas et la femme aura une fausse couche.

Neuf mois plus tard, si tout va bien, l'arbuste sortira de l'eau et l'enfant naîtra. Bien que le mode de reproduction des hommes et des arbres soit totalement séparé, le sexe de l'enfant et celui de l'arbre est identique. A parti de ce moment et pendant 12 ans cet arbuste est à la charge des parents.

Quand humain et arbre arrivent à la fin de leurs vies, leur prise en charge revient aux enfants. Seule la fonction affective pour son arbre est laissée à l'humain car personne d'autre n'est apte à le faire. Quand l'humain ne parvient plus à assumer cette dernière fonction, homme et arbre meurent ensemble. La dernière fonction de l'arbre est alors de servir de cercueil .

Un homme et une femme sont, selon la légende, à l'origine de ce peuple, ils s'appelaient Adah et Evah. Cette légende raconte qu'ils étaient nomades à la recherche d'un point où se fixer, exilés des terres lointaines pour une raison inconnue. C'était un été torride, ils étaient à leur troisième jour de marche sans manger et surtout sans boire, par monts et par vaux, ils marchaient à la recherche d'eau pour survivre. Lors de la montée d'une côte escarpée pour sortir d'une xième vallée aride, Evah sentit que son coeur allait flancher, elle dit: « Adah, mon heure est proche, si au delà de ce col il n'y a pas d'eau , alors je renonce! Je préférerais me donner la mort plutôt que de poursuivre cet enfer. »

Adah pouvait encore résister un ou deux jours, mais pas sans elle, vivre seul lui serait impossible.

Arrivés au sommet du col, après des lieux de marche sur un terrain escarpé, où se succédaient les vallées et les cols, une sensation bizarre les submergea , ils avaient devant eux là en bas une plaine immense, remplie de hautes herbes sèches et deux arbres majestueux.

Ces arbres souffraient apparemment aussi de la chaleur, mais un autre péril bien plus grand était en train de les menacer : le feu. Ces arbres étaient entourés par un feu de broussaille. et ils ne fallait plus rien pour qu'ils périssent carbonisés. Adah entendit au fond de lui comme un appel de détresse. Il ne savait pas ce qui le poussait mais il savait qu'il devait éteindre le feu et sauver les deux arbres. Il parvint à trouver la force nécessaire et au bout de plusieurs heures de combat avec les flammes, il finit par éteindre la menace.

Après quoi, Evah senti le besoin de monter dans l'arbre et à plusieurs mètres du sol, elle trouva un trou dans le tronc de l'arbre, le tronc de cet arbre était creux et à l'intérieur il y avait des marches naturelles qui descendaient, comme si fabriquées expressément par l'arbre pour eux.

Dans le fond du tronc il y avait de l'eau. Cet eau avait un goût de miel. Il purent boire de cet eau sucrée pendant plusieurs jours, jusqu'à l'arrivée de la saison des pluies qui tardait à venir et profiter des bienfaits de ces arbres. C'est depuis cette rencontre quand l'homme sauva l'arbre et l'arbre sauva l'homme, que se lièrent leurs destinées.

Quelques siècles plus tard, la peuplade des xylhommes disparut subitement. On dit que homme et arbre ont été victimes d'un virus mortel et que aucun d'eux ne pouvait aider l'autre à s'en débarrasser.

Cette histoire , mon ami me dit qu'elle est issue d'un livre : « Contes et Légendes Obscures » des frères Trimm. C'est d'après lui un livre de références dans le monde des Cités Obscures . Ne serait-il pas intéressant d'en faire profiter les gens de notre monde? Si vous avez d'autres échos d'autres passages de ce livre fabuleux, faites le moi savoir ([email protected]).