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François Schuiten: «Arrêter la BD? Il ne faut jamais dire jamais!»

François Schuiten: «Aujourd’hui, vous ne devez plus être simplement un dessinateur de bande dessinée, vous devez être présent sur les réseaux sociaux, faire du marketing autour de votre album, ou bien monter des expositions… Faire de la BD devient une équation de plus en plus complexe.» Dargaud /Eric Garault

INTERVIEW - Le dessinateur de La Fièvre d’Urbicande qui vient de signer Le Dernier Pharaon, un épisode de Blake et Mortimer, fait une mise au point au Figaro, concernant son envie d’arrêter définitivement la bande dessinée, et le fait qu’il n’en vive plus assez…

La sortie pétaradante du Dernier Pharaon, épisode de Blake et Mortimer revu et magnifié par François Schuiten, a mis le dessinateur des Cités obscures sous le feu des médias. À cette occasion, on a pu lire que le dessinateur de 63 ans arrêtait la BD, qu’il ne vivait pas de son art… Contacté par Le Figaro, François Schuiten fait une mise au point.

LE FIGARO. - Arrêtez-vous définitivement la bande dessinée?

François SCHUITEN. - On ne peut jamais dire jamais! (Rires). Je sais que cette déclaration que j’ai faite lors d’une interview a fait fortement réagir. En disant cela, je ne cherchais pas à faire mes adieux à la BD, ni à faire du sensationnalisme. Disons plutôt que je n’ai plus de projet en bande dessinée et que je ne compte plus en avoir pour l’instant. J’ai travaillé trois ans et demi sur l’album Le Dernier Pharaon de Blake et Mortimer. C’était mon hommage personnel à l’œuvre d’Edgar P. .Jacobs. Cela m’a épuisé. C’était un «one shot». Il n’y aura pas de suite. Si je prends un peu de recul avec toutes mes années de labeur, je me rends compte que je ne suis plus en phase avec le système de la BD actuelle. Je ne sais pas m’adapter à cela. Ce système d’édition, qui pousse les auteurs à la surproduction d’albums, m’inquiète et me fait peur.

Qu’est-ce qui a changé selon vous?

Aujourd’hui, vous ne devez plus être simplement un dessinateur de bande dessinée, vous devez être présent sur les réseaux sociaux, faire du marketing autour de votre album ou bien monter des expositions… Faire de la bande dessinée devient une équation de plus en plus complexe. On ne peut plus se permettre de ne faire que cela. Alors que selon moi, pour bien faire de la BD, on devrait être dans la concentration. Il faut du temps. Je sais que pour certains, l’affaire peut sembler bien légère. Mais j’estime que la bande dessinée est quelque chose de sérieux.

«Moi je m’en suis bien sorti. Mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui un dessinateur de BD vit de moins en moins bien de son art»François Schuiten

Certains articles parus récemment déclarent que vous ne vivez pas décemment de la BD. Est-ce vrai?

Non, ce n’est pas vrai. Moi je m’en suis bien sorti. Le Blake et Mortimer démarre en fanfare. Je n’ai qu’à regarder le large sourire de mon éditeur à chaque fois que je le vois… Mais je constate que le réassort des albums s’amenuise. C’est ce réassort qui faisait vivre jusqu’alors les artistes de BD, grâce aux droits d’auteur. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui un dessinateur de BD vit de moins en moins bien de son art. Moi-même, au fur et à mesure de ma carrière, j’ai dû me diversifier. Je me suis tourné vers l’illustration, l’affiche, la scénographie. Pour financer la création longue de mes BD, j’ai dû parfois avoir recours à la vente d’originaux. C’est une équation que je n’arrive plus à résoudre. C’est pour cette raison que j’ai envie de tirer le signal d’alarme pour moi comme pour les autres dessinateurs. Le scénariste Yann disait il y a peu que «les dessinateurs de BD étaient la variable d’ajustement de la création»… Je vois un système qui s’affole… Cela m’inquiète fortement.

Êtes-vous triste de l’évolution du milieu de l’édition bande dessinée?

Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai aucune amertume. Je remercie la BD pour tout ce qu’elle m’a donné. Mais je sens que je suis au bout de ce que je devais faire en bande dessinée. J’ai l’impression d’avoir tout dit. J’ai envie de me renouveler, et d’aller vers d’autres formes artistiques. Pour moi, après la parution du Dernier Pharaon, une page se tourne. Il y a, au fond de moi, la peur de faire le livre de trop. Et puis, j’ai plein de choses à prouver dans d’autres domaines…

C’est-à-dire?

J’ai d’autres ambitions. J’aimerais par exemple faire des livres d’illustrations, des interventions dans la ville. Je travaille actuellement sur la mise en place d’un immense orgue dans la ville de Bruxelles. J’interviens également au cinéma en tant que co-scénariste ou concepteur visuel…

Adapter Les Cités obscures sur grand écran, est-ce d’actualité?

Je pense que si l’on décide d’adapter les Cités obscures au cinéma, il faudrait opter pour un travail à partir de l’univers que nous avons mis en place Benoît Peeters et moi. Mais je ne crois que l’on puisse adapter les albums eux-mêmes. Ils sont trop spécifiquement reliés à la bande dessinée…

Original article by Olivier Delcroix, published at June 6, 2019.
Read the original publication at Le Figaro