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Blake et Mortimer : l'envie de “foutre un peu le bordel” (Schuiten)

Quatre années de collaboration réunissant des talents belges, comme il se doit, pour la réalisation d’un one shot, dans le monde des célèbres détectives d’Edgar Jacobs. Quatre années, et la confluence d’une multitude d’inspiration, de projets et de savoir-faire, pour qu’aboutisse une œuvre riche, tout à la fois en rupture et en continuité.

Les auteurs : Thomas Gunzig, Laurent Durieux, François Schuiten, Jaco Van Dormael

L’histoire de cette bande dessinée part d’un « alignement de circonstances, d’un désir de l’éditeur et de quelques lignes que Jacobs nous a laissées », indiquait François Schuiten à l’occasion d’une conférence lors des Rendez-vous de la BD d’Amiens. Bien peu de choses, en guise d’héritage, que le créateur des deux hommes léguait : leur rencontre avec le palais de justice de Bruxelles. Pourquoi ce lieu ? Probablement la passion de Jacobs pour cet édifice, auprès duquel il vécut si longtemps — et sa dimension fantastique pour les Bruxellois…

L'aventure collective commencée

François Schuiten sollicité explique qu’il avait besoin d’aide : l’arrivée d’un ami, Jaco Van Dormael, réalisateur et metteur en scène belge, pour le scénario sera un premier appui. Avec lui, Thomas Gunzig « qui nous a apporté une dynamique », poursuit Schuiten. « Laurent Durieux est venu ensuite. Mais vous le voyez, cette histoire est avant tout faite de complicité et d’amitié. Nous étions de toute manière tous amateurs, découvrant le sujet. Tout cela avait un côté débutant, assez joyeux… »

Van Dormael n’a pas boudé son plaisir : « Travailler avec François, c’est toujours savoureux. Et moi, j’ai été biberonné avec Blake et Mortimer — jusqu’à découvrir que By Jove était de l’anglais ! » Les quatre hommes s’embarquent, avec une règle : ne travailler que réunis, François avec le crayon en main. « De la sorte, l’histoire a été directement adaptée au dessin : chaque contribution apportait un détail, mais c’est quand la main de François se mettait à bouger que l’on comprenait : “Là, on a quelque chose.” »

Aborder le scénario d’une bande dessinée était une grande première pour Thomas Gunzig — écrivain, et scénariste pour le cinéma et le théâtre. Mais il n’y a pas vu « tant de différences. À quelques éléments techniques que l’on adapte, par rapport à la littérature, ce qui importe, c’est surtout l’émotion que la collaboration dégage. Parce qu’à partir de là, les possibilités sont nombreuses. »

De l'Égypte à Bruxelles, lampe en main

Et si Blake et Mortimer passent des pyramides au Palais de Justice de Bruxelles, « c’est avant tout lié aux aventures de François en Égypte. Nous n’avions pas envisagé de lien immédiatement avec Le mystère de la grande pyramide. » François Schuiten sourit : « Le processus de création est toujours lié au hasard d’un alignement de signes, d’expériences et de projets personnels. » En l’occurrence, celui du Scan Pyramids, où le dessinateur avait pu profiter comme rarement des pyramides de Gizeh.

Dès les premières pages de l’album, on le perçoit : contrairement à Astérix, Le dernier pharaon fait ressortir le trait de Schuiten, sa patte. « J’aurais été incapable de reproduire sa ligne claire — que j’adore au demeurant — et ce n’était pas non plus le souhait de l’éditeur. Nous avons avancé avec mon propre dessin. » Et les couleurs qu’a insufflées Laurent Durieux.

« Le travail de Jacobs sur la couleur — il faut se souvenir qu’il réalisait tout, tout seul ! – c’est une recherche de sens plus profond encore », assure l’illustrateur. « Retrouver les couleurs originales de ses premières publications, c’est tout bonnement époustouflant. Mais nous avions un autre type d’univers en tête : plutôt de l’expressionnisme que du naturalisme. »

La cage de Faraday bruxelloise

Et surtout, il fallait donner vie à ce Palais… Jaco Van Dormael l’explique avec humour : « Depuis plus d’une trentaine d’années, l’édifice est entouré d’un échafaudage, qui devait servir la restauration de la façade. Mais voilà quelque temps maintenant que l’échafaudage lui-même se détériore. Alors… les légendes grandissent. Comme celle voulant qu’il s’agisse en réalité d’une cage de Faraday, destinée à contenir un rayonnement dangereux. »

Si les Bruxellois se font rire avec cette légende urbaine, pour les quatre auteurs, il y avait soudainement matière à s’emparer de l’édifice où Jacobs voulait tant emporter ses personnages. « Los Angeles, Paris… Toutes les grandes capitales ont été célébrées à travers un bâtiment mythique. Nous avons offert un hommage à Bruxelles avec cette aventure. »

Transiter alors des murs du Palais jusqu’aux tréfonds des pyramides, par cette jonction presque magique, tout cela relève bien de l’univers de Jacobs. « Le succès de ses bandes dessinées vient, me semble-t-il, de cette vision spectaculaire, où l’imaginaire et le fantastique se chevauchent. C’est en tout cas ce que j’y ai trouvé », confie Laurent Durieux.

Yves Schlirf, directeur général adjoint de Dargaud Benelux, présent dans la salle, insiste : « Le Dernier pharaon, c’est un peu unique dans la série des Blake et Mortimer. L’idée d’en faire plusieurs de la sorte n’est pas venue. Et on ne le recherche pas. Mais si quelqu’un arrive avec un projet, alors on ne se refusera pas de regarder. Par exemple : si Franck Miller m’appelle et me propose un Blake et Mortimer, j’écouterai… », plaisante-t-il.

Sorti ce 29 mai, l’album appartient désormais aux lecteurs. « On ne peut pas plaire à tout le monde ni répondre aux attentes de chacun, nous verrons s'il a marché… Il existe un certain conservatisme, dans le monde de la BD. Et nous sommes aussi là pour foutre un peu le bordel », lance François Schuiten avec un éclat de rire.

Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig, François Schuiten, Laurent Durieux, adapté d’Edgar Pierre Jacobs – Les aventures de Blake et Mortimer ; Le dernier pharaon – Blake et Mortimer – 9782870972809 – 17,95 €

Original article by Nicolas Gary, published at June 3,2019.
Read the original publication at ActueLitté