Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

the impossible & infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters

User Tools

Site Tools


Action disabled: source

Benoît Peeters : France-Belgique, « une relation enchevêtrée, forte et ancienne »

France-Belgique, qu’est-ce qui nous rapproche ? La réponse de Benoît Peeters, essayiste et scénariste de BD

Peeters / Isabelle Franciosa/Casterman

Je suis français, mais j’ai un nom belge. Je vis à Paris, mais j’ai passé plus d’années en Belgique qu’en France. Mon ami le dessinateur belge François Schuiten, avec lequel je travaille régulièrement, a lui aussi un pied en France et l’autre en Belgique. Cette relation enchevêtrée est forte et ancienne. Ce match France-Belgique ravive les liens d’une histoire compliquée.

Il y a d’abord une dissymétrie fondamentale entre les deux pays. La France, pays à l’histoire longue qui se vit comme une grande puissance, a toujours regardé avec une sympathie condescendante, voire une ironie lourde ses voisins d’outre-Quiévrain. La Belgique, dont l’identité est récente et fragile, a entretenu un certain complexe culturel par rapport à la France.

Il y a toutefois une difficulté de la part des Français à comprendre les Belges, alors que ces derniers les regardent avec un mélange d’admiration et d’agacement. Edgar P. Jacobs, le créateur de Blake et Mortimer, se disait par exemple ignorant de la politique belge, mais ne ratait pour rien au monde les campagnes électorales françaises.

En Belgique, la question linguistique est centrale, directement politique, et crée des communautés très différenciées. La culture francophone de Belgique et celle des Flamands se connaissent assez mal, même si la musique et la danse permettent de rassembler les Belges. La bande dessinée franco-belge est avant tout francophone. Tintin n’a jamais eu la même centralité en Flandres.

Pour les écrivains, c’est un vrai problème : les auteurs francophones cherchent à se fondre dans le monde littéraire français, voire à faire oublier leur nationalité comme Henri Michaux, tandis que les Flamands sont davantage connus aux Pays-Bas, à l’exception de Hugo Claus. Mais c’est un passage dans « Apostrophes » qui l’a fait connaître côté francophone.

Les choses changent avec une reconnaissance de la différence belge, d’une admiration pour l’humour et la décontraction des artistes belges, qui font moins de distinction entre art mineur et art majeur. Le Belge est entarteur, mais cet esprit d’autodérision rend plus difficile le débat intellectuel qu’en France.

Les Belges ont du mal à faire valoir leurs propres valeurs, alors que la France croit dur comme fer aux siennes. À tel point qu’elle est persuadée que certaines gloires uniquement nationales sont internationales. Lors d’une interview d’Hergé, un journaliste français lui a demandé : « Mais enfin, mon cher Hergé, pourquoi donc n’être vous pas français ? » Or Tintin, s’il avait été français, n’aurait pas été Tintin. Il aurait fait rayonner Paris ou la France, alors que son premier geste est de partir chez les Soviets. La Belgique existe davantage par sa capacité à regarder le monde.

Original article by Stéphane Dreyfus, published at July 10, 2018.
Read the original publication at La Croix