Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

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Schuiten & Peeters dévoilent un Paris familier et fantasmé

Avec « Revoir Paris », Schuiten & Peeters atteignent une nouvelle étape dans leur construction artistique entre récits utopistes, villes en déliquescence et en construction. Plus nuancé et à la fois plus affirmé que de leurs précédentes réalisations, cet album propose une très belle vision de Paris, mais surtout une passionnante réflexion sur le futur que l'on désire.

Vous livrez la seconde partie de “Revoir Paris”, un récit qui se distingue de vos collaborations précédentes. Quelle vision portez-vous sur cette aventure graphique ?

Benoît Peeters : Ce second album est avant tout l’aboutissement d’une très longue aventure pour François et pour moi. D’abord parce que Revoir Paris prend le relais d’un projet plus ancien sur Paris, puis que ce double album représente quatre années de réalisation, interrompu par le travail sur le musée Train World à Bruxelles et quelques autres aventures.

Vous faites allusion à votre récit inachevé Les Mystères de Pâhry, que vous aviez finalement publié dans la réédition augmentée des Murailles de Samaris ?

Benoît Peeters : Oui, nous réfléchissions depuis longtemps à un récit consacré à Paris, et finalement nous nous sommes décidés à traiter le vrai Paris, et non le Pâhry décalé des Cités obscures. Revoir Paris ne devait être à l’origine qu’un seul album, mais le récit a pris de l’ampleur et nous l’avons finalement divisé en deux. La première partie du voyage est construite sur le désir et le fantasme de Paris, alors que la ville reste invisible, ou seulement dévoilée par le biais d’une image mentale.

Le second album met en scène l’approche difficile du centre de Paris. Il s’agit pour Kârinh, notre héroïne, de vérifier si la confrontation avec cette ville tellement désirée correspond à son attente. Ce qui me plaît dans cet album, c’est notamment que le premier feuilletage va sans doute se focaliser sur les éléments séduisants de ce Paris que l’on découvre, avec sa lumière douce, ses bâtiments ressuscités comme les Halles de Baltard. Puis, si on lit bien l’histoire, on se rend compte que le propos est finalement nettement plus complexe et que cette ville conforme à l’imagerie touristique n’est plus tout à fait une ville.

Votre album est composé de couches multiples qui s’imbriquent qui tentent de décrire ce qu’est Paris, ou plutôt la vision personnelle que chaque individu en perçoit.

François Schuiten : Oui, nous aimons cette complexité et nous cherchons à la mettre en scène. Une chose qui me gêne dans la plupart des utopies et des dystopies, c’est leur aspect monolithique, voire parfois simpliste. Or, cet album offre d’un côté des visions assez positives, volontairement proches de visuels de cartes postales, et de l’autre des contrastes avec des aspects plus sombres et difficiles.

Benoît Peeters : La bande dessinée permet effectivement ces nuances. Et parfois cela déstabilise le lecteur, car certains d’entre eux désirent qu’un récit livre un message explicite. Avec Revoir Paris, nous avons voulu réaliser un album qui peut se lire de différentes manières et à différentes vitesses. Nous n’avons pas cherché à décrire notre Paris idéal.

A l’image de la ville, votre héroïne est également multi-face ?

Benoît Peeters : Elle possède effectivement une identité changeante, car elle évolue au fil du récit. Peu à peu, elle s’ouvre aux autres et parvient à dépasser cette imagerie de Paris qui l’avait poussée à entreprendre ce périple.

À la différence de la plupart de vos précédents récits, Revoir Paris s’inscrit dans notre monde, mais dans le futur. Vous avez choisi de ne pas expliquer ce qui s’est déroulé pendant de cette centaine d’années ?

Benoît Peeters : Ce n’était pas le but du récit, mais nous nous sommes amusés à laisser des traces, des allusions, des indices sur ce qui s’est passé pendant ces 140 ans, sans toutefois l’expliquer. On imagine qu’entre 2016 et 2156, il y a eu tout un palimpseste, tout un ensemble de couches avec des moments de progrès, mais aussi de régressions et de catastrophes. Et que cette superposition donne la réalité assez bizarre que l’on découvre : un no man’s land entoure Paris, avec des zones inhabitables, d’anciennes zones industrielles ou portuaires, des forêts revenues à l’état sauvage avec des variations climatiques fortes. Le cœur préservé de Paris prend donc tout son sens, au vu de ce qui l’entoure. Pour saisir ces informations, le lecteur doit être attentif, entrer sans les images, saisir de petites phrases disséminée. Contrairement à ce que se passe souvent dans un récit de science-fiction, nous n’avons donc pas expliqué ce qui s’est passé antérieurement, car c’est un procédé qui nous agace. Nous avons fait le choix d’accompagner un personnage et d’entrer dans son point de vue. C’est avec elle que le lecteur peut comprendre au fur et à mesure ce que sont devenus Paris et le monde qui l’entoure.

François Schuiten : Je n’ai jamais compris comment on pouvait distinguer si nettement les bons des méchants dans certaines histoires, alors que notre société est d’une telle complexité. Cela me semble irréel. En ce qui me concerne, chaque fois que je ne comprends pas un sujet, je voudrais l’étudier à fond pour le saisir dans sa complexité ! Certains lecteurs attendent des récits aussi simplifiés que ceux que les hommes politiques et les grands médias nous livrent souvent. Mais ces visions simplistes créent chez moi un malaise. Je me sens plus à l’aise dans des récits et des espaces plus complexes, qui m’aident à accepter la complexité de notre époque.


Était-ce à cause de ces liens avec les autres albums que la Ville-lumière ne pouvait pas s’intégrer dans les Cités obscures ?

Benoît Peeters : Même si cet album entretient des liens avec nos albums précédents, le diptyque Revoir Paris peut se lire de manière totalement indépendante. Il peut donc représenter une bonne porte d’entrée pour de nouveaux lecteurs.

François Schuiten : Nous avons longtemps discuté entre nous pour savoir s’il fallait intégrer ce récit au sein des Cités obscures, même s’il est fort différent. Au départ, je n’étais pas contre. Après réflexion, nous avons trouvé une nouvelle organisation qui deviendra visible dans de nouvelles éditions : il y aura Les Cités obscures et Les Cités futures.

Benoît Peeters : Ces deux ensembles entretiennent de nombreuses relations, mais travaillent sur deux axes différents. Les Cités obscures reposent sur une variation d’espace, tandis que Les Cités futures jouent sur le décalage dans le temps. Avec Les Portes du possible que nous avions réalisé précédemment, nous avions choisi un décalage temporel assez proche (2030-2040). Mais cela pose le risque de rencontrer un jour ou l’autre la période concernée. Avec la date de 2156 de Revoir Paris, sauf miracle de la science, nous avons peu de risque d’être confrontés à nos lecteurs de 2156. François Schuiten : La bande dessinée aime les règles. Les collections sont rassurantes pour l’éditeur et les lecteurs. Mais nous n’avons jamais été vraiment capables de nous y adapter, car nous avons toujours travaillé avec des formats et des paginations différents, du noir et blanc, de la couleur… Benoît Peeters : … des albums transformés, partiellement réécrits…

Avez-vous déjà un futur projet en tête ?

Benoît Peeters : Non, nous voulions aller au terme de ce voyage, avec toutes les ramifications qu’il comprend. Avant de se donner l’ouverture nécessaire pour imaginer un autre projet.

François Schuiten : Rappelons que Revoir Paris n’est pas uniquement un récit de bande dessinée, c’est également deux expositions, l’une a été présentée en 2014 à la Cité de l’Architecture, la seconde, « Machines à dessiner » est toujours accessible au Musée des Arts et Métiers. Sans oublier les livres qui accompagnent ces expositions et proposent encore des visions différentes. Nous voyons toujours nos albums comme des ensembles d’éléments qui entrent en résonance avec d’autres médias, d’autres images…

Dans ce livre consacré aux Machines à dessiner, vous avez intégré de très anciens travaux, comme l’Encyclopédie des transports présents et à venir, une perle rare pour les amateurs des Cités obscures, mais vous avez également abordé votre présent, voire votre futur dans une passionnante conversation sur le dessin. Vouliez-vous tirer un bilan ?

Benoît Peeters : L’exposition des Arts et Métiers nous a permis de poser une nouvelle réflexion sur le dessin, et donc tous les travaux liés aux métiers techniques. Les drôles de machines de Wappendorf étaient donc naturellement destinées à s’y retrouver. Mais nous voulions surtout suivre le fil de la réalisation d’un dessin, et les surprises qu’il peut générer.

François Schuiten : Ces projets connexes (expositions, livres, représentations, etc.) sont avant tout des voies d’exploration. Ils nous permettent d’être en relation avec d’autres acteurs sans être enfermés dans l’espace de la bande dessinée. Nous travaillons dans un nouveau contexte, entouré de partenaires créatif dont le regard nous apporte énormément.

Benoît Peeters : C’est l’une des dimensions que notre travail peut avoir : créer des passerelles, emmener le lecteur en voyage… Par exemple, faire entrer dans ce magnifique Musée des Arts et Métiers des personnes qui n’auraient jamais eu l’idée d’en pousser la porte.

Original article by Charles-Louis Detournay, published at December 5, 2016.
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