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La BD de la semaine: Schuiten et Peeters commentent le tome 2 de "Revoir Paris"

LA BD DE LA SEMAINE - Le duo imagine dans leur nouvel album le Paris du 22ème siècle.

Cet automne, François Schuiten est sur tous les fronts. Le dessinateur s’est installé au musée des Arts et Métiers, où il présente avec son scénariste Benoît Peeters l’exposition Machines à dessiner. Depuis le 17 novembre, Schuiten occupe la galerie Barbier & Mathon, où il dévoile ses travaux avec l’illustrateur et coloriste Laurent Durieux. Ensemble, ils ont notamment conçu des affiches de films de Coppola et de François Truffaut.

Dans les librairies, enfin, Schuiten retrouve Peeters pour la suite et la fin du diptyque Revoir Paris. Un album réalisé pendant l’élaboration de Machines à dessiner et auquel Laurent Durieux a discrètement contribué, apportant sa patte à l’ultime page, comme un avant-goût de leur future collaboration sur le nouveau Blake et Mortimer que prépare Schuiten avec Thomas Gunzig et Jaco Van Dormael. Comme souvent dans les histoires de Schuiten et Peeters, rien n’est laissé au hasard. Le duo a accepté de commenter pour SFR NEWS une sélection de cinq planches.

Garder l’histoire vivante

Benoît Peeters: “Au tout début, on pensait que l’histoire tiendrait en un volume. Et puis, pour de multiples raisons, l’histoire prenant de l’ampleur, on a décidé de la diviser en deux volumes. Idéalement, elle est faite pour être lue d’un coup. La structure de l’histoire était là dès le début mais comme on travaille sur une très longue période de temps, dès que de nouvelles idées se présentent, comme l’exposition au musée des Arts et Métiers, ça pèse sur l’histoire. Comme l’actualité. On commence l’histoire avec une bonne idée du thème et du début. La fin est là, un peu dans la brume. On la voit, on sait qu’on peut s’y accrocher mais en même temps, presque toujours, l’élaboration de l’histoire modifie cette première image de la fin, la prolonge, l’enrichit. On espère que c’est dans le bon sens. C’est vrai que cette méthode n’est pas sans risque mais elle permet de garder l’histoire vivante et l’énergie intacte tout au long de l’élaboration.”

Imaginer le futur

François Schuiten: “Je m’amuse beaucoup à imaginer les villes comme des mille-feuilles. Les lieux ont une vocation puis se transforment. La gare d’Orsay [à Paris] est devenue un musée. C’était amusant d’imaginer [dans Revoir Paris] la Gare du Nord devenir un hôtel. Dans cette planche, le Stade de France est devenu un lieu un peu comme le Vel’ d’Hiv’. Une bande dessinée ne doit pas seulement être un récit. Ça doit être un lieu de questionnements. Quand je vois une ville, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ce qu’elle sera, ce qu’elle a été. C’est toujours un va-et-vient entre son passé et son avenir. On part d’une hypothèse et ce qui est intéressant est de la crédibiliser. Mais on n’a jamais le sentiment, Benoît et moi, que l’on raconte le futur. On raconte un futur possible d’une façon suffisamment décalée, j’espère, pour que l’on ne nous dise pas ‘Ah, vous croyez vraiment que ça va être comme ça’.

Dans cette image, il y a beaucoup de souvenirs: le bathyscaphe de Jacobs, peut-être du Franquin aussi. Je n’invente strictement rien. Je ne fais que combiner, agencer… C’est un melting-pot. C’est dans cette alliance que se place l’invention. Raconter des histoires en images est une discipline, un exercice qui vous permet d’apprendre plein de choses. Tout seul. C’est une très belle discipline, la bande dessinée, qui peut mener à tout.”

Métro Arts et Métiers

François Schuiten: “C’est un clin d’oeil. La station de métro [parisienne] aurait résisté par je ne sais quel miracle. C’est un jeu. Quand on fait des histoires, il faut avoir du plaisir. Redessiner la station que j’ai dessinée il y a vingt-ans, ça m’amusait. Avec Benoît, on s’amuse beaucoup. Vous avez bien raison de dire qu’il y a une dimension toujours un peu ironique [dans notre travail]. D’ailleurs, quand on fait des conférences c’est toujours plus rigolo. Les gens voient. On a une image un peu austère. Même dans mes dessins, il y a un côté sérieux.”

Une technique de peintre

François Schuiten: “Si je travaille directement au crayon de papier, il va rester du blanc parce que le crayon ne peut pas toucher toutes les parties du papier. Je mets d’abord des couches de couleurs que le crayon vient rehausser. Il vient apporter de la densité et de la matière. Pour la couleur, c’est un mélange entre ce qui est au-dessous et au-dessus: il m’arrive de mettre d’abord du rouge puis au-dessus du bleu parce que ça va créer une matière, une profondeur. C’est des techniques de peintre.

Pour moi la couleur doit être narrative, elle doit raconter autant que le trait, autant que le texte. Il faut l’enclaver dans une tension narrative. Je veux qu’il y ait des climats différents, des mondes différents. Pour moi, un livre doit vous donner des émotions différentes. C’est inimaginable que quelqu’un d’autre fasse la couleur. Même si pour mon prochain livre ce n’est pas moi qui la fait, je serai derrière. Mais c’est un autre concept [Schuiten travaille actuellement sur une nouvelle version de Blake et Mortimer. Les couleurs seront assurées par Laurent Durieux, ndlr].

J’ai essayé de renouveler ma palette, de me bousculer. Chaque album a une technique différente. Je n’ai jamais répété la même technique. J’essaie d’expérimenter pour casser un certain nombre de réflexes. La bande dessinée, sinon, c’est extrêmement répétitif. Les cases… c’est laborieux. Comme job, c’est vraiment dur. J’en ai chié sur ce deuxième album. J’avais beaucoup de pressions, différents événements ont bousculé un peu ma vie. J’ai vraiment dû beaucoup me concentrer pour sortir ce livre.”

Les attentats

François Schuiten: “Il y avait cette dimension dans le scénario dès le départ, mais elle a pris une réalité due aux attentats et à l’appartement de Benoît qui a explosé. Ces deux événements se sont croisés. Pour moi, la bande dessinée est comme une éponge. Elle reçoit tout ce que l’on est, tout ce que l’on vit. Dernièrement j’ai relu La Douce [récit de la passion d’un mécanicien pour une locomotive, sorti en 2012], je me suis rendu compte de ce que j’y avais mis… C’était très personnel, mais je ne m’en étais pas rendu compte. Il y a des choses que vous faites consciemment. Curieusement, j’ai le sentiment que même avec Benoît qui est un intellectuel de choc, on ne sait pas trop ce qu’on fait. Et je ne sais pas trop si on a envie de le savoir.”

François Schuiten et Benoît Peeters, Revoir Paris: La Nuit des constellations, Casterman, 64 pages, 17 euros.

Original article by JÉRÔME LACHASSE, published at November 24, 2016.
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