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RTBF - Revoir Paris 2: La Nuit Des Constellations

Revoir Paris - © Schuiten et Peeters/Casterman

Schuiten et Peeters nous guident dans Paris, métropole de 2156, dans ce volume où le métissage, celui des êtres comme des lieux, se révèle essentielle richesse…

Revoir Paris - © Schuiten et Peeters/Casterman

Il y a longtemps déjà, “ L’Arche ” a quitté la Terre, sa pollution, ses interminables conflits. Cette arche, véritable monde autonome en errance contrôlée, a comme but évident de pouvoir un jour reprendre pied dans une réalité dont ses habitants sont issus.

Dans le premier tome de ce “ Revoir Paris ”, on suivait ainsi une expédition envoyée sur la planète Terre pour en vérifier la viabilité. On suivait surtout les pas de Kârinh, une jeune femme pour qui cette Terre originelle, qu’elle n’a jamais connue, est plus qu’un rêve : une espérance infinie, qui la construit telle qu’elle est, habitée par la folie et la révolte de la jeunesse.

Ici, dans ce tome 2, Kârinh découvre pleinement la ville où, elle le sait, ses parents se sont connus, aimés sans doute. Paris qui n’est plus qu’un îlot, protégé par un dôme de verre qui en préserve les richesses architecturales plus ou moins conservées, plus ou moins refaites, voire recréées. Paris n’est plus qu’un musée dans lequel cette jeune femme va d’errance en errance, se cherchant sans doute autant que cherchant les traces de ses improbables passés.

Paris fait partie de l’imaginaire collectif de tout un chacun. Ville lumière, ville des arts, elle a depuis toujours cette capacité, que peu de villes à travers le monde ont, de focaliser toutes les attentes artistiques humaines, prises au sens large du terme. Et c’est elle, décrite en anticipation par Schuiten et Peeters, qui, finalement, est le personnage central de ces deux livres.

Un personnage qui nous pose une question qui n’arrête pas d'être posée, celle du patrimoine et de sa préservation. Sauver le patrimoine en le transformant, est-ce la seule manière, finalement, de sauvegarder l’humain ? Comme le disait Patrice de La Tour du Pin : tous les pays qui n’ont plus de légende seront condamnés à mourir de froid. Et c’est bien de légendes sans cesse recréées qu’il s’agit toujours dans les livres de Schuiten et Peeters !

Benoît Peeters et François Schuiten: la ville

Avec les albums de François Schuiten et Benoît Peeters, on se trouve toujours face à des univers très particuliers.

Certes, il y a à chaque fois une trame narrative, toujours embaumée de poésie, toujours transcendée par une forme diaphane de fantastique pratiquement quotidien.

Mais au-delà du récit, au-delà de l’intérêt d’une histoire qui nous est racontée avec un soin extrême, il y a aussi, et surtout peut-être, l’objet, le livre, qu’on tient entre les doigts, qu’on peut ouvrir, n’importe où, refermer, dont on peut frôler la texture, qui ne demande qu’à se laisser feuilleter au gré de ses envies.

Le graphisme de Schuiten appelle le regard, et sa construction narrative, à la fois architecturale et cinématographique, demande aux yeux de s’attarder ici, de glisser là, de revenir, de s’en aller.

Il en va de même des phylactères qui occupent une place presque graphique, eux aussi, tout au long de ces albums, et de celui-ci en particulier me semble-t-il.

Et je pense que le lecteur ne pourra pleinement savourer l’histoire d’anticipation que Peeters et Schuiten racontent, lui racontent ici, qu’à partir du moment où celui-ci accepte, du corps et de l’âme, de dialoguer avec le livre, et, au travers de ce livre, avec les auteurs qui le lui livrent, qui le lui offrent.

François Schuiten et Benoît Peeters: l'anticipation

François Schuiten: le dialogue avec le lecteur

Revoir Paris - © Schuiten et Peeters/Casterman

Je disais en préambule à cette chronique que le thème central de ces deux livres était le métissage. Métissage des époques, d’abord, au long d’une histoire qui se révèle en définitive plus “ fantastique ” que “ sf ”.

Métissage des lieux, ensuite : la ville musée, ses visiteurs “bien propres sur eux”, et puis les autres vivants, les révoltés, et tous les territoires de l’ailleurs de la cité.

Métissage humain, aussi, tout simplement. Khârin est née d’une femme venue d’Asie et d’un Parisien pure souche, elle vient d’un monde perdu dans les confins des étoiles et se perd à la poursuite d’elle-même sur ce qui n’est, tout compte fait, qu’une île perdue, elle aussi, loin de tout.

On se trouve ici au milieu de deux mondes, très différents l’un de l’autre, mais tous deux semblables dans leur nécessité d’autorité. Et Khârin se trouve là, à l’intersection de ces univers, à l’aube d’une révolte qui se fera peut-être révolution. Héroïne fragile, tant mentalement que physiquement, elle ne sait rien de ce qu’est l’amour, et elle incarne grâce à tous ces métissages l’espoir ultime de l’Existence.

Et pour accentuer cette ambiance qui semble sans cesse osciller entre plusieurs réalités possibles, Schuiten a effectué un travail sur la couleur que je n’avais jamais remarqué dans ses livres précédents. Cette couleur nimbe les personnages et les lieux, qui tous se retrouvent comme enfouis dans un léger brouillard. Sauf lorsque des sentiments forts surgissent, la colère ou la violence.

François Schuiten: la couleur

Benoît Peeters: la couleur

Revoir Paris - © Schuiten et Peeters/Casterman

François Schuiten est un dessinateur centré, sans aucun doute possible, sur ce que sont les architectures des lieux, des bâtiments, des paysages même. Mais il est aussi, graphiquement, le chantre de la féminité, d’une féminité gracile qui se révèle ainsi le seul pendant possible à des décors qui, autrement, ne seraient, à l’instar du Paris de ces deux albums, que des icônes patrimoniales sans intérêt.

Vous l’aurez compris, cet album, qui termine “ Revoir Paris ”, est, à mon avis, une totale réussite artistique. Paris, comme cité qui n’a plus rien d’obscur, ou qui ne connaît pas encore son obscurité, est indubitablement un personnage particulièrement attachant !

Jacques Schraûwen

Revoir Paris : 2. La Nuit Des Constellations (dessin : François Schuiten – scénario : Benoît Peeters – éditeur : Casterman – octobre 2016)

Original article by Jacques Schraûwen, published at November 10, 2016.
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