Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

the impossible & infinite encyclopedia of the world created by Schuiten & Peeters

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En 2156, Paris sous cloche

Dans leur nouvel album, François Schuiten et Benoît Peeters, auteurs à succès de BD, imaginent Paris dans 140 ans. Et invitent à s’ouvrir à l’imaginaire au musée des Arts et Métiers. Rencontre.

La chapelle de la Sorbonne sous un dôme. (Schuiten-Peeters/Casterman 2016)

ls n'ont pas choisi l'année 2156 au hasard, là où se situent les aventures de leur dernière héroïne de papier : ils ont ajouté deux siècles à l'année de leur naissance. Le dessinateur belge François Schuiten et son complice, le scénariste et auteur français Benoît Peeters, ont le même âge, et se sont rencontrés sur les bancs de l'école à Bruxelles où ils ont grandi. Ensemble, ils ont créé, il y a plus de trente ans, tout un monde imaginaire, parallèle au nôtre, un réseau de villes aux architectures fantastiques, Brüsel, Samaris, Urbicande, ou Pâhry, les fameuses “Cités obscures”. La série devenue culte, récompensée du grand prix d'Angoulême en 2002, compte une douzaine d'albums qui se sont vendus à plus de 1,25 million d'exemplaires. Les BD du duo ont été traduites dans une dizaine de langues, dont le japonais, tout récemment. L'empire du Soleil-Levant leur a même remis en 2013 le grand prix Manga, qui n'avait jamais été décerné à des Européens.

La gare du Nord est devenue un hôtel de luxe

l y a quatre ans, Schuiten et Peeters ont délaissé les contrées obscures, pour s'intéresser à la capitale française, ville où habite le scénariste et que son complice bruxellois connaît depuis l'enfance. “C'est une déclaration d'amour à cette cité qui m'émerveille toujours, et que j'ai arpentée à pied pendant des heures pour la dessiner”, raconte François Schuiten.

Avec son coauteur, il a imaginé Revoir Paris, une histoire en deux tomes, dont le dernier vient de paraître. Ce projet éditorial englobait deux expositions, l'une en 2015 à la Cité de l'architecture autour du premier opus, l'autre aux Arts et Métiers, à partir de la semaine prochaine, autour du second volume. Les deux créateurs ont en effet souvent débordé des cases de la BD, écrivant des livres – notamment sur Hergé pour Benoît Peeters, tintinologue reconnu – ou transformant la station de métro Arts et Métiers en un fascinant vaisseau inspiré du Nautilus de Jules Verne, pour Schuiten en 1994.

Après avoir immergé Kârinh, leur héroïne née dans une colonie spatiale, dans un Paris fantasmé par la jeune femme, où l'on découvrait les machines volantes imaginées au XIXe siècle par le dessinateur Albert Robida, les deux auteurs la plongent dans le futur. “Nous ne sommes pas devins, nous avons amplifié des tendances d'aujourd'hui, par exemple le fait de mettre sous cloche des bâtiments anciens, telle la gare de Strasbourg, datant du XIXe et placée sous une gigantesque bulle. C'est techniquement possible”, explique François Schuiten, passionné d'architecture, lui-même petit-fils, fils et frère d'architectes. Cela donne sur le papier un centre historique protégé par un immense dôme transparent de la hauteur de la tour Eiffel dont la pointe touche la surface vitrée, une enclave où certains monuments ont été reconstruits à l'identique (Notre-Dame), un Paris de carte postale, que l'on survole en engins futuristes. La gare du Nord par exemple est devenue un hôtel de luxe, dont certaines suites donnent sur le toit, tout près des grandes statues, ces allégories de Berlin, Cologne, etc. dominant l'édifice.

"La Canopée des Halles est une occasion manquée"

“Nous avons mis le cœur historique sous verre, pour souligner le danger qui guette des cités très touristiques comme Venise ou Bruges, figées et refermées sur elles-mêmes. Le risque est de faire évoluer ces villes dont les touristes rêvent vers l'image que ces visiteurs en attendent : de fossiliser une image de petits cafés typiques donnant dans des rues haussmanniennes. Hors, pour moi, Paris est un corps vivant. Il faut pouvoir faire évoluer le paysage tout en respectant son histoire. C'est un dialogue complexe, délicat qui demande de rêver la ville, de créer un nouvel imaginaire.”

Dans le Paris de science-fiction décrit par les auteurs, le centre Pompidou est conservé comme un exemple d'audace réussie s'insérant dans un cœur ancien. “Le nouveau palais de justice en construction actuellement et qui est une œuvre de Renzo Piano comme Beaubourg, me paraît aussi très intéressant. J'aime le principe des décrochés, et aussi l'ambition affirmée de cette tour.” Mais, dans la BD, la Canopée des Halles, qualifiée d'“erreur”, est rasée et les majestueuses Halles de Baltard sont tout simplement… reconstruites. “Le nom de Canopée est magnifique, mais n'est vraiment pas incarné par l'édifice qui a été livré. La structure est très lourde. J'aurais aimé que l'on puisse se promener sur cette Canopée, comme on peut déambuler sur le toit de l'opéra d'Oslo en Norvège. C'est une occasion manquée.”

Autre occasion ratée : le projet du Grand Paris “n'a débouché que sur un supermétro”, regrette François Schuiten, qui s'est penché sur le sujet en 2009, à la demande de Christian Blanc, éphémère secrétaire d'État de la Métropole. Dans Revoir Paris 2, le dessinateur a fait de Saint-Denis la capitale administrative de la France, et les territoires s'appellent tous Paris-quelque chose, comme Paris-Saclay, ou Paris-Notre Dame : “J'ai aussi exagéré la rupture entre le dôme, réservé aux gens fortunés, et les zones autour, abandonnées, polluées. Cette fracture, existant actuellement entre l'intra-muros, propre, protégé et hors de prix, et les banlieues, est une bombe à retardement.”

Tout n'est pas noir non plus, en 2156 : une plage de sable fin, rappelant la place de grève du Moyen Âge, descend en pente douce dans la Seine, où des badauds nagent et s'amusent (“C'est le Club Med”, s'amuse François Schuiten). Des jardins suspendus poussent sur les toits rehaussés des immeubles haussmanniens. Le cimetière du Père-Lachaise est devenu un vrai parc, débordant de verdure, d'où émergent des monuments funéraires en forme de pagodes… “Les habitants d'aujourd'hui demandent que leur bien-être soit davantage pris en compte, que le monde soit plus doux. Je pense qu'il faudrait basculer très vite, en cinq à six ans, vers des véhicules tout électriques, bus, voitures, scooters, afin que l'air soit moins pollué. Il faut penser aux plus fragiles, aux enfants qui souffrent de plus en plus d'asthme, et aussi aux animaux sauvages ou domestiques. Pourquoi ne pas imaginer des espaces où les chiens peuvent courir librement, ou des passerelles pour les chats? Dans notre BD, nous avons glissé des girafes, des zèbres paissant sous les Halles Baltard… Un zoo sans clôture dans l'ancien ventre de Paris! Pour réinventer, il faut oser l'utopie.”

Original article by Marie-Anne Kleiber, published at October 23, 2016.
Read the whole story at Le Journal du Dimanche