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Benoît Peeters : «Paris souffre d'un excès d'imagerie et d’un déficit d’imaginaire»

Extrait de « Revoir Paris. La nuit des constellations » de F. Schuiten et B. Peeters, Casterman, octobre 2016.

Le scénariste des Cités obscures et de Revoir Paris se projette dans la ville du futur. Interview.

Dimanche 25 septembre, Libération organisait le Forum : «Citadins & Citoyens», une journée de débat au BHV MARAIS. Benoît Peeters participait à la rencontre «Les métamorphoses de Paris». Quels projets d’urbanisme fictionnel vous ont le plus marqués ?

Le dessinateur Robida a projeté des images très fortes et ironiques de Paris. Je pense aussi à Yona Friedman et aux revues telles que Science et Avenir, qui nous montraient les villes de l’an 2000, avec leurs voitures volantes, leurs habitats sous-marins ou leurs habitats aériens qui défiaient toute pesanteur. Je pense toutefois que les films sont à même de porter un imaginaire urbain très puissant. J’ai été frappé par grands films mythiques : Metropolis, Blade Runner, Brazil auxquels j’ajouterai volontiers Le Procès, d’Orson Wells et Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution de Godard.

Quels moyens offrent la BD pour raconter le futur ?

Dans les BD de Franz, de Moebius, de Bilal et dans la nôtre, on est d’abord frappé par la liberté. La bande dessinée est proche de l’architecture et de l’urbanisme car l’outil graphique permet un travail tridimentionnel. En même temps, c’est un moyen très peu coûteux, léger et libre. C’est pour cela que la BD est un haut lieu d’expérimentation utopique et un beau réservoir d’imaginaire urbain. Cependant, elle n’a pas forcément vocation à proposer des modèles positifs ou des contre utopies. Ses propositions ne sont pas destinées à être traduites en termes concrets. Mais elle sert peut-être à donner un délire d’imaginaire et de transformation, comme les Cités obscures, qui oscillent entre la fable et les menaces qui pèsent sur le vivre ensemble.

Ces fantasmes sont-ils parfois retranscrits dans la vie réelle ?

Oui, je pense à la ville de Brasília, qui ressemble un peu à un rêve de bande dessinée. Elle a été construite à partir de rien, matérialisée à partir d’un dessin. C’est un geste utopique très fort. J’évoquerai aussi Shanghai et la rive de Huangpu, qui est née d’une affirmation politique et selon des jugements esthétiques. Ce sont des images fascinantes et effrayantes à la fois.

Doit-on s’inspirer d’autres capitales pour imaginer le Paris du futur ?

Paris a une puissance historique et symbolique telle, qu’elle n’a pas besoin de chercher de modèle. Aujourd’hui, elle a besoin d’une volonté et une énergie comparable à celles qui ont pu animer Haussmann au XIXe siècle. Même si c’est un architecte contesté, ses travaux demeurent un geste majeur de transformation de la ville et en avance sur son temps. Ces travaux ont probablement épargné des destructions monumentales au XXIe siècle.

Mon rêve, toutes proportions gardées et avec les possibilités qu’offre le XXIe siècle, est une sorte d’Haussmann du très Grand Paris. Un projet qui parvienne à dépasser la frontière sinistre du périphérique pour recréer un Paris unifié. A l’image de Londres ou de Berlin, je rêve d’un Paris pensé comme une totalité, où chacun se sent pleinement habitant de la capitale. Je rêve depuis longtemps d’une mesure gratuite, qui mettrait fin à la désignation par arrondissement, pour créer un ensemble de quartiers comme Paris Montrouge ou Paris Saint-Denis par exemple. Voilà une mesure symbolique qui donnerait à chacun le sentiment d’être lié à un quartier, tout en faisant d’un grand ensemble qu’est Paris.

Comment imaginez-vous la ville du futur ?

Notre vision à François Schuiten et à moi est libre et, je dirai même, irresponsable, car nous imaginons la ville moins comme des citoyens que comme des auteurs. Nous n’essayons pas de proposer une vision de notre ville idéale, comme ont pu le croire certains de nos lecteurs et critiques. Nous ne souhaitons pas que les villes des Cités obscures, comme Urbicande, se concrétisent. Nous traitons ces villes comme cadre de drame en poussant à l’extrême des idées qui nous frappent. Les lieux que nous imaginons sont des caricatures, où nous mettons nos désirs et nos angoisses.

Il faut sortir de cette coupure tragique entre le Paris intra-muros et sa périphérie

Est-ce que Paris manque d’imaginaire ?

Je pense que l’imaginaire de la ville existe encore du côté des artistes, des romanciers et des cinéastes. Il fait cependant défaut aux architectes, qui sont un peu tétanisés quand il s’agit de construire dans les grandes villes européennes. Du côté des politiques, c’est la panne complète, les propositions pour la ville sont très faibles, pauvres et pensées à très court terme. L’histoire des Cités obscures et de Revoir Paris est un plaidoyer pour l’imaginaire de Paris. Cette ville souffre d’un excès d’imagerie, du syndrome Amélie Poulain/Midnight in Paris et d’un déficit énorme d’imaginaire. Il faut sortir de cette coupure tragique entre le Paris intra-muros et sa périphérie, pour inventer une manière d’intégrer l’architecture moderne dans la ville sans falsifier son patrimoine. C’est ce que le Grand Paris a fait miroiter un instant, mais au final il est devenu l’expression pour désigner des déplacements en Ile-de-France. Mais c’est bien en deçà des transformations à laquelle elle vise, car les mentalités aussi doivent changer.

Original article by Belinda Mathieu, published at September 30, 2016.
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