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Francois Schuiten: Les trains et les RER sont devenus hideux

INTERVIEW - Le célèbre dessinateur belge a travaillé dix ans sur un «opéra ferroviaire». Un mois avant l'ouverture de ce projet, le coauteur des Cités obscures dévoile pour Le Figaro les coulisses de cette nouvelle aventure.

François Schuiten a toujours aimé les trains. Ce n'est pourtant que récemment qu'ils ont pris une place aussi importante dans son œuvre. L'aboutissement de cette fascination sera l'inauguration, le 23 septembre, de Train World, un «opéra ferroviaire», une évocation «du passé, du présent et surtout du futur des chemins de fer». Un projet conçu dans le quartier de Schaerbeek, à Bruxelles, et auquel le dessinateur des Cités obscures a dédié dix ans de sa vie.

Avec Train World, François Schuiten a souhaité mettre en scène ces engins, «les sculpter par la lumière, le mouvement et le son». Pour autant, ce «n'est pas un musée du train». «Je n'ai pas envie de devenir muséographe ou dessinateur de trains, prévient le dessinateur. Ce n'est pas un projet nostalgique. Le train est un enjeu du monde de demain.»

Train World est une immersion. Dans de grandes halles, articulées ensemble, différents modèles de locomotives cohabitent. Des peintres, des musiciens, des éclairagistes ont travaillé sur le projet. En particulier le compositeur français Bruno Letort.

Depuis ses débuts, Schuiten multiplie les ponts entre l'univers de la BD et le réel. Dans les années 1990, l'auteur a rénové la maison Autrique, célèbre bâtisse conçue par Victor Horta, tout en évoquant son histoire dans un album des Cités obscures, L'Enfant penchée. «Je me suis très vite rendu compte en tant que dessinateur que si je n'étais pas confronté au réel, mon dessin allait complètement s'assécher.»

La même idée traverse Train World. «Il fallait que tout soit vrai», assène le dessinateur. Pour évoquer le problème de la sécurité, il place par exemple dans l'une des halles une véritable voiture, écrasée par deux trains. «C'était une vraie compression de César. J'ai pensé qu'il serait intéressant de parler de la sécurité par l'apparition, derrière un tulle, de cette voiture écrasée.»

«J'ai eu envie de construire une légende aux locomotives»

Entretemps, il a consacré un album à l'univers ferroviaire, La Douce (2012), dont il a exceptionnellement signé le dessin et le scénario. L'histoire de la passion d'un vieux machiniste pour sa locomotive à vapeur type 12, qu'il a surnommée «la Douce». Le projet du Train World «a profondément influencé mon imaginaire, avoue François Schuiten. Je me suis documenté. J'ai découvert une histoire très intéressante, d'ingénieurs, de designers, de constructeurs. Des dessins sont ensuite venus par nécessité.»

Lui-même est le premier étonné de la quantité de dessins de la Douce qu'il a pu produire au cours de cette période. «Parfois je la dessinais sans raison. Cela me faisait du bien. Aujourd'hui, je pourrais la dessiner sans modèle». Une partie est réunie dans La 12-Variations sur l'Atlantique 12, une monographie dont la parution doit coïncider avec l'ouverture du Train World.

Un enjeu de taille fut de trouver la couleur exact de la Douce. «C'est un très beau vert, qui a été trouvé par un peintre et un architecte. Ce vert a une force, une profondeur et les bandeaux chamois de la Douce sont très beaux, très subtils. À l'époque, il y avait une vrai audace», explique le dessinateur, avant de concéder, dans un éclat de rire: «Je n'ai toujours pas trouvé le ton exact, je suis toujours en train de le chercher.»

«J'ai eu envie de construire une légende à cette locomotive, poursuit François Schuiten. Pour moi, elle échappe au temps. J'ai eu envie qu'elle se glisse à travers les temps, à travers les styles, à travers la photo. Nous autres dessinateurs d'histoire, c'est notre métier de rendre les choses un peu plus belles.»

François Schuiten déplore aujourd'hui «la banalisation du train». S'il juge le TGV japonais, le Shinkansen «incroyablement beau» et le Thalis «assez sobre», le dessinateur ne mâche pas ses mots pour les autres: «Les trains, les RER sont hideux. Et en Belgique, c'est une catastrophe. Le design des trains ne s'est pas amélioré.»

D'ailleurs, «les gens ne regardent plus les trains», dit-il. Ceux-ci reviennent pourtant progressivement à la mode. En juillet, l'ex-Pink Floyd David Gilmour dévoilait son dernier single, Rattle That Lock, inspiré du jingle de la SNCF. En l'écoutant Schuiten s'exclame: «C'est rigolo, mais c'est plus anecdotique qu'autre chose! Ce qui m'intéresse dans son idée, poursuit le dessinateur, c'est la création de nouveaux sons car aujourd'hui, les trains ne font que très peu de bruit…»

Le dessinateur se met alors à rêver au train du futur. «Il n'ira pas plus vite. Je voudrais qu'il soit plus en relation avec l'environnement, et que le paysage soit un émerveillement. Le train permet, même à grande vitesse, d'être une occasion de découvrir un monde. On pourrait avoir des trains qui auraient des plafonds ouverts. Ou scénariser les entrées de gare, qui sont souvent assez tristes et ennuyeuses. Il faut retrouver du plaisir et du rêve!» François Schuiten a d'ailleurs déjà esquissé quelques magnifiques croquis de ce fabuleux engin:

La 12 - Variations sur l'Atlantique 12, François Schuiten, Casterman, 22 euros. Sortie le 23 septembre.

Original article by Jérôme Lachasse, published at August 23, 2015.
Read the whole story at Le Figaro