Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

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Le Paris fantasmé de Schuiten et Peeters

L'exposition “Revoir Paris” rassemble deux siècles de visions urbaines. Traits de réflexion architecturale sur le devenir de la capitale.

Il y a plus de trente ans paraissait en librairie une bande dessinée à la dimension inédite, Les Murailles de Samaris, dont le protagoniste principal était une ville mystérieuse cachée dans le désert. Après avoir posé cette subtile première pierre, l'écrivain-scénariste français Benoît Peeters et le dessinateur belge François Schuiten ont bâti un cycle d'une impressionnante cohérence : les « Cités obscures ». L'architecture et la cartographie y constituent les éléments moteurs d'intrigues monumentales, dans lesquelles les humains sont souvent livrés à eux-mêmes. Si Schuiten et Peeters ont inventé un univers parallèle au nôtre, le réel n'est pourtant jamais loin. Ainsi, dans leur nouvel album, Revoir Paris, les auteurs s'amusent à imaginer un Paris rétrofuturiste, inspiré en partie par les visionnaires du passé.

De Jules Verne à Le Corbusier

A la Cité de l'architecture et du design, ils poussent plus loin leur démarche. La riche exposition dont ils sont les commissaires est construite sur le principe de la confrontation. Au centre, des lutrins présentent des planches originales de Schuiten, réalisées pour le roman iconoclaste de Jules Verne exhumé en 1994, Paris au XXe siècle, et pour l'aménagement de la station de métro Arts-et-Métier. « Je voulais qu'on y entre comme dans le Nautilus du capitaine Nemo », s'amuse le dessinateur. Les cimaises retracent, quant à elles, les métamorphoses vécues par Paris lors des deux derniers siècles, comme à l'occasion des expositions universelles, qui, entre 1855 et 1900, ont, selon Peeters, « contribué à théâtraliser la ville ». Sont aussi mis à l'honneur tous ceux qui ont essayé de réinventer Paris… quitte à verser dans l'utopie la plus complète. On goûte ainsi à la vision fantaisiste de l'illustrateur Albert Robida, qui, à la fin du XIXe siècle, imagine Notre-Dame en station pour aéronefs ou l'Arc de triomphe surmonté d'un complexe hôtelier. Le Corbusier, lui, prévoit à la fin des années 20 un réaménagement radical de Paris par la construction de gratte-ciel et la primauté donnée à l'automobile. « Nous sommes heureux que certains projets ne se soient pas réalisés, estiment Schuiten et Peeters, mais nous sommes désolés que Paris ait perdu cet élan. »

La crème actuelle des architectes

La dernière partie de cette exposition pas du tout nostalgique laisse ainsi place à l'anticipation. Par le biais de vidéos, un panel international de personnalités (les architectes Jean Nouvel, Christian de Porzamparc, l'écrivain Erik Orsenna…) s'exprime sur l'avenir architectural de Paris. Mais c'est l'énorme écran circulaire en fin du parcours qui retient l'attention et redonne parole à l'imagination. Les ingénieurs de Dassault Systèmes ont permis à Schuiten de réaliser une projection en 3D de son Paris rêvé. En manipulant une table d'orientation, chaque visiteur peut ainsi assister aux mutations de trois quartiers (la Défense, Notre-Dame, la tour Eiffel). Un vrai saut dans le futur.

Benoît Peeters commente quelques images de l'ouvrage, visible à l'expo…

L'axe Paris-Le Havre. Le nouveau port d'Achères, François Schuiten, 2009

Souvent, dès que l’on sort de Paris, la Seine est mal ou peu utilisée. On a recours à la même métaphore dans l’album : notre héroïne arrive à Paris par la station spatiale du Havre, un port qui est également devenu celui de Paris. Le système de développement concentrique parisien n’est qu’une forme de paresse de l’esprit, il faut proposer d’autres modèles. Des villes comme Londres accueillent en leur sein de vastes espaces verts, New York a par exemple Central Park. Pensez des projets ne coûte pas grand-chose, c’était d’ailleurs l’impulsion initiée par ce projet du grand Paris. Elle est malheureusement retombée, au point de ne déboucher que sur un projet de super métro.

Développements 3D en cours de «Demain Notre-Dame», 2014

Notre exposition se termine par un très grand écran circulaire, un hommage à celui inventé par Robida dans ses illustrations. François a développé pour l’exposition ce projet futuriste, à la fois par ce qu’il montre et la technologie à laquelle il a recours, celle de Dassault Systems. Si Notre Dame est sous cloche, c’est qu’on ne l’imagine plus visitable de l’intérieur à cause des conditions climatiques. Mais on peut découvrir le site à différentes hauteurs grâce à un système de passerelles. C’est un clin d’œil à l’idée de muséification, à la fois inévitable et périlleuse. Notre exposition n’est pas là pour donner une vérité, l’utopie est une force motrice !

«La Planète Paris», 2014

La « ville monde » est une expression qui s’emploie beaucoup dans les discours urbains et politiques à propos de très grandes villes. François s’est amusé à la prendre au pied de la lettre et a imaginé ce qui se passerait si on projetait le plan de Paris sur un globe. L’idée d’une ville monde consisterait à redonner à tous les Parisiens -au sens large - un sentiment d’appartenance à une même chose. Aujourd’hui, Paris est davantage construit sur un système d’exclusion, ceux qui habitent de l’autre côté du périphérique n’ont peut-être pas l’impression de vivre dans cette ville-monde. On propose ainsi de rebaptiser toutes les zones de Paris, intra et extra-muros, comme des villages : Paris-Montmartre, Paris-Montparnasse, Paris-Créteil, Paris-Montrouge, etc.

Dessin pour l'affiche de Revoir Paris, 2014

Cette image est directement liée à l’exposition qui prend place au Palais de Chaillot, un lieu qui a toujours eu une fonction de mise en scène. François Schuiten s’est amusé à conserver la structure du Palais tout en la rehaussant. Le but est que les Parisiens reconnaissent immédiatement le lieu où se déroule l’expo mais sachent aussi ce que signifie pour nous Revoir Paris. Soit rêver Paris, se demander comment transformer la ville, tirer parti de son histoire et en même temps ne pas la figer. Ici, François s’est amusé à revisiter l’affiche en noir et blanc. Son dessin est chargé d’énergie, de dramaturgie alors que celui de l’affiche couleur est plus léger. Précisons qu’il travaille seul, comme un artisan, sans assistant ou usage de l’informatique.

Sur les toits, in Le Vingtième Siècle. Albert Robida, 1883

Parmi les grands rêveurs de Paris et de la modernité, il y a Jules Verne et Albert Robida. Celui-ci nous est cher parce qu’il a rêvé l’avenir avec une certaine jubilation. Il y a beaucoup de saveurs dans ses dessins qui, évidemment, n’ont pas de prétention réaliste. Son Paris du 21e siècle est très futuriste, envahi de machines volantes individuelles et d’inscriptions publicitaires. Ses dessins montrent aussi des inventions prémonitoires comme un dispositif télévisuel ou le « téléphonoscope », l’ancêtre de Skype. Etrangement, à la fin de sa vie il a évoqué ses images comme des condamnations moralisantes des dérives du progrès. Or, on a le sentiment que, lorsqu’il les a dessinées, il était plutôt dans le plaisir, le désir de l’avenir.

Photomontage avec Notre-Dame de Paris et le Woolsworth building de New York, Louis Bonnier, vers 1928

Louis Bonnier a occupé de hautes fonctions dans la ville de Paris, celles d’architecte-voyer. Ce collage, on pourrait mal l’interpréter et se dire qu’il a été saisi d’une folie moderniste, voulait faire pousser des immeubles newyorkais en plein cœur de Paris. Or, il a proposé cette image saugrenue au moment où des architectes comme Sauvage, Perret et surtout le Corbusier plaidaient pour la verticalisation de Paris. Le plan de Le Corbusier aurait éradiqué la moitié de la rive droite au profit de gratte-ciels alignés ! Bonnier réalise donc ce collage à des fins polémiques pour montrer que la rupture d’échelle serait terrifiante et que ce qui est possible à New York ne l’est pas à Paris.

Les ponts habités de La Défense, François Schuiten, 2009

En 2008, à la demande de Christian Blanc, François a travaillé sur un projet autour du Grand Paris, une sorte de dessin animé présentant métaphoriquement ses pôles d’excellence. L’idée était de symboliser un certain nombre de sites du grand Paris par des images fortes et puissantes, afin de montrer que l’on peut créer du désir autour de lieux qui ne sont pas canoniques. Pour la Défense, un ensemble assez froid et daté, François a imaginé une zone très vivante en recourant à des ponts urbanisés tels que le Ponte Vecchio de Florence. Il nous propose un lien entre un RER (ou TGV) futuriste et ce pont à l’ancienne avec, derrière, les immeubles de la Défense. Il s’agit d’une vision libre, pas de recommander la construction de ces tours telles quelles.

Hommage à Auguste Perret, Schuiten-Peeters, 2014

En 1920, avant qu’il n’ait pu concrétiser ses projets, notamment au Havre, Auguste Perret imagine de prolonger l’axe historique de Paris au-delà de la Porte Maillot afin de réaliser une immense avenue d’immeubles-tours allant jusqu’ à la forêt de Saint-Germain en Laye. Son illustration parue en 1922 nous a fait beaucoup rêver, nous et Kârinh, l’héroïne de notre BD Au Revoir Paris. En 2156, elle a réuni des documents sur Paris sans savoir vraiment ce qui existe ou a été rêvé. Là, on la voit en lévitation dans le Paris de Perret. On a construit toute une séquence qui permet de visualiser sous de nombreux angles ce qui n’existait que dans une illustration de Perret. Ici, il s’agit d’une version noir et blanc d’une case emblématique de l’album faite spécialement par François pour l’exposition.

Original article by Vincent Brunner, published at December 21, 2014.
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