Altaplana, world of Francois Schuiten and Benoit Peeters

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Paris, rêve droite rêve gauche

Une exposition à la Cité de l’architecture s’empare de la BD de Schuiten et Peeters «Revoir Paris» pour multiplier les versions visionnaires de la capitale.

Nous sommes en 2155. Une partie de l’humanité a quitté la Terre depuis longtemps. Il y a un siècle, les Pionniers ont construit des Vaisseaux et préparé dans le secret absolu le «grand départ», la situation sur notre bonne vieille planète se dégradant trop. Depuis, on ne sait rien, ou presque. Les humains qui seraient restés auraient plongé dans la plus infâme barbarie. Mais Kârinh, jeune femme rêveuse, ne souhaite qu’une seule chose : pouvoir revenir et surtout pouvoir visiter Paris, la ville de ses rêves. Chanceuse, elle est désignée par ses supérieurs pour une mission d’observation.

Dans Revoir Paris, publiée chez Casterman, François Schuiten, au dessin, et Benoît Peeters, au scénario, tentent, par la science-fiction, de repenser la capitale française, ville-monde de leurs fantasmes. La bande dessinée, qui sera en deux tomes, s’accompagne d’une exposition du même nom à la Cité de l’architecture, à Paris. Comme Kârinh, les auteurs des Cités obscures sont des utopiomanes, des shootés à l’utopie. S’ils mènent chacun de leur côté des projets personnels, ces amis d’enfance aiment réinventer des villes lorsqu’ils se retrouvent. Rêver sur Paris était pour ce couple de travail franco-belge une évidence. «Quand on a beaucoup parlé de Bruxelles, on y vivait tous les deux, raconte Benoît Peeters. Et la ville que connaît le mieux François sinon, c’est Paris. J’y vis, il y a nos éditeurs, on y a développé de nombreux projets, le choix était naturel. Cette ville reste aussi un des objets de fantasmes mondiaux. Quand on va au Japon, et qu’on dit qu’on va faire une exposition sur Revoir Paris, tout le monde est enchanté. Si on leur disait qu’on travaille sur Clermont-Ferrand, on ne serait peut-être pas accueilli avec le même enthousiasme.»

Utopies. Le Paris qu’ils imaginent, en 2155, n’est plus en très bon état. La ville s’étend du Havre aux berges de l’île Saint-Louis. Il pleut en permanence, encore plus qu’aujourd’hui. Des aéroglisseurs de contrebandiers permettent de remonter la Seine, où se mêlent, sur ses bords, immeubles aux designs futuristes et usines en décomposition luttant contre la nature. Comme dans leur série les Cités obscures, on retrouve cette incertitude entre nature et culture, combat et amour permanent. La capitale, elle-même, a bien changé. Ses principaux bâtiments, comme Notre-Dame ou l’Arc de triomphe, se trouvent sous d’immenses globes. Il faut un visa spécial pour pouvoir les visiter. «Ce n’est pas forcément l’avenir souhaitable ou souhaité par nous. C’est un avenir intéressant à imaginer, une hypothèse un peu étrange, décalée», explique François Schuiten. L’exposition ne présente pas que des illustrations de leur dernière bande dessinée : «Grosso modo, on a rassemblé toutes nos images existantes ou nouvelles autour de Paris», note Benoît Peeters. L’allée centrale présente les planches originales de Revoir Paris, mais aussi les travaux préparatoires qui les ont menés à la réalisation de la station de métro tout en cuivre d’Arts et Métiers, ou les illustrations de Schuiten pour cet inédit de Jules Verne, Paris au XXe siècle, publié pour la première fois en 1994, cent trente et un ans après son écriture.

Mais l’exposition est aussi un hommage aux utopies des philosophes, architectes, urbanistes et sociologues, qui ont pensé et parfois changé la cité française depuis plus de deux siècles. Comme toujours, pour les amateurs d’architecture, c’est un plaisir de se replonger ou de découvrir les multiples projets qui ont voulu transformer la capitale et qui parfois n’ont jamais été réalisés. Comme la fontaine aux éléphants de Jean-Antoine Alavoine, au début du XIXe siècle. L’architecte rêvait d’un pachyderme de 15 mètres de haut, surmonté d’un palanquin, alimenté par les eaux de l’Ourcq. En 1889, dans le cadre du centenaire de la Révolution française, Louis Ernest Lheureux proposa, déjà, une sorte de pyramide du Louvre. Ressemblant plus aux édifices d’Angkor Vat qu’à celle de Ieoh Ming Pei, elle devait être installée sur le site du palais des Tuileries, prolongeant le Louvre, et incendié en 1871.

Steampunk. A la même époque, l’illustrateur Albert Robida se plaisait à imaginer un futur sur les toits, où l’on va de magasins en magasins dans des montgolfières ressemblant à des poissons, slalomant entre les cheminées vapoteuses, une ambiance steampunk que l’on retrouve dans le travail de Peeters et Schuiten. Le XXe siècle, évidemment, n’est pas en reste. Une grande partie de l’exposition est consacrée aux utopistes modernes, Paul Maymont et ses études pour l’extension de Paris, Guy Rotier et son lac artificiel pour le projet des Halles. Ou, encore, une carte de Debord, le Guide psychogéographique de Paris. Discours sur les passions de l’amour. Il y mettait en scène, en 1957, ses dérives urbaines, dans un espace qui «ne dormait jamais tout entier, et permettait à la débauche de changer trois fois de quartier dans une nuit».

Reste à imaginer l’avenir. La dernière partie de l’exposition est consacrée au Paris d’après, le Grand, celui qui va au-delà du périphérique. Avec la crainte que la frilosité prenne le dessus, comme récemment le vote contre la tour Triangle. «Je n’ai pas suivi très attentivement le projet, reconnaît François Schuiten, mais j’ai le sentiment que le débat est biaisé. Je ne suis pas sûr qu’on juge vraiment une tour. On a l’impression qu’il n’y a pas vraiment une analyse des enjeux et que, derrière tout cela, le conservatisme l’emporte.»

Original article by Quentin Girard, published at November 28, 2014.
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